Le 27 novembre 2015, 161 poèmes furent lus à la bibliothèque Sainte-Barbe à Paris, en hommage aux victimes des récents attentats. Des vers nouveaux… et des vers anciens, comme ce poème publié en 1957 dans Le Devoir par Gaston Miron, grande figure de la littérature québécoise. Pour se recueillir et se demander comment faire du souvenir un espoir. 

À la criée du salut nous voici
armés de désespoir

au nord du monde nous pensions être à l’abri
loin des carnages de peuples
de ces malheurs de partout qui font la chronique
de ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres
incrédules là même de notre perte
et tenant pour une grâce notre condition 

soudain contre l’air égratigné de mouches à feu
je fus debout dans le noir du Bouclier
droit à l’écoute comme fil à plomb à la ronde
nous ne serons jamais plus des hommes
si nos yeux se vident de leur mémoire

beau désaccord ma vie qui fonde la controverse
je ne récite plus mes leçons de deux mille ans
je me promène je hèle et je cours
cloche-alerte mêlée au paradis obsessionnel
tous les liserons des désirs fleurissent
dans mon sang tourne-vents
venez tous ceux qui oscillent à l’ancre des soirs
levons nos visages de terre cuite et nos mains
de cuir repoussé burinés d’histoire et de travaux

nous avançons nous avançons le front comme un delta
« Good-bye farewell ! »
nous reviendrons nous aurons à dos le passé
et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir

Gaston Miron, L’Homme rapaillé, Gallimard/Poésie, 1999 (1re éd., 1970)
© Éditions Typo et succession Gaston Miron, 1998

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