Où est passé homo festivus ? Il y a vingt ans, l’écrivain Philippe Muray avait tracé le portrait cruel de cet habitant de l’époque, rejeton d’une ère hyperfestive où, de célébrations en commémorations, la fête ne marquait plus la rupture, mais le tout de la vie quotidienne. À force de frivolité et de mondanités, nous aurions alors égaré en chemin les raisons profondes qui nous poussent à nous retrouver, oublié ce sens de la fête, qui fait sa singularité et sa richesse. L’irruption de la pandémie a, là comme ailleurs, marqué un coup d’arrêt, la fin brutale des libations et le début d’un carnaval sans joie, sans parade ni serpentins. Depuis plus d’un an, les interdits se sont multipliés au nom d’impératifs de santé : bars et discothèques fermés, mariages réduits à de simples cérémonies, soirées entre amis renvoyées à la clandestinité. La fête a été rangée sur l’étagère des activités non essentielles, voire « inutiles » selon l’Élysée à l’automne dernier. Sans oublier cette sentence définitive du préfet de la région Centre-Val de Loire, restée dans les mémoires : « La bamboche, c’est terminé ! »

Qu’en est-il aujourd’hui, alors que la levée progressive des restrictions, au bout d’un troisième déconfinement dont chacun espère qu’il sera le dernier, correspond à l’arrivée des beaux jours et des agapes estivales ? Quelle place accorder à ces réjouissances dans nos quotidiens bouleversés ? Ce numéro hors-série du 1 se penche pour l’occasion sur la place de la fête dans nos existences, publiques et privées. Car, comme le rappelle l’anthropologue Emmanuelle Lallement dans l’entretien qu’elle nous accordé, la fête n’a jamais été aussi présente, aussi impérative à nos yeux, que depuis qu’elle a déserté nos vies. Son manque se rappelle à nous et nous invite à réévaluer son rôle et son fonctionnement. À repenser ce temps social unique où, selon les mots du philosophe Michaël Fœssel, « le calcul ne règne plus en maître et où l’imprévu cesse d’être interprété comme une menace ».

Faire la fête, c’est célébrer le goût des autres, c’est communier dans un « être ensemble » dont la pandémie nous a depuis longtemps privés. Ce ne sera pas forcément aisé, surtout dans ces prochaines semaines où la liberté aura des airs probatoires. Les réticences des uns, l’insistance des autres, pourraient mettre à mal familles et cercles d’amis, déchirés quant à la bonne façon de se retrouver. Et il faudra du temps pour que tout le monde entre à nouveau dans la danse. Mais du moins, la fête n’est pas finie. Elle ne demande même qu’à commencer. 

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