HAUTE-VIENNE. Lorsque la trésorerie de son village a fermé, Jacques s’est adapté. Pour payer ses impôts, il ne se déplace plus, il envoie son chèque. Quand le bureau de poste a réduit ses horaires d’ouverture au public de moitié, il s’est résigné à un « service au ralenti ». Mais depuis que la gendarmerie a déménagé l’été dernier, ce retraité de 72 ans est inquiet. « Ce n’est pas la même chose, dit-il, l’air rembruni derrière ses lunettes et sa moustache blanche. Avec le départ des gendarmes, c’est une institution qui part. » 

Situé en Haute-Vienne, à l’ouest du Limousin, Saint-Mathieu fait partie de ces nombreux villages de campagne touchés par la fermeture des services publics. L’an dernier, les contraintes budgétaires imposées par l’État ont accéléré le regroupement des services, ou leur transfert vers des communes plus peuplées. Les six gendarmes locaux sont désormais affectés à une caserne à une vingtaine de kilomètres de là. Leur présence dans le village a pris la forme de patrouilles et d’une permanence dans les locaux de la poste, tous les vendredis, de 10 heures à midi. 

Mais ces nouvelles dispositions ne satisfont pas les 1 100 habitants de la commune. La plupart sont des retraités. « Ça nous a beaucoup perturbés, déclare Jacques, qui préside le Club des aînés, une association locale qui compte quelques centenaires parmi ses membres. On ne se sent pas en sécurité. » Ils ne sont pas les seuls. Les commerçants aussi regrettent l’éloignement de la gendarmerie. L’une d’entre eux, qui a souhaité garder l’anonymat, explique en avoir fait les frais en décembre quand son magasin a été cambriolé : « Ils ont mis vingt minutes à arriver ! » Elle redoute un effet boule de neige. « Après les gendarmes, ce sera quoi ? ».

À Saint-Mathieu, la poste est le prochain service sur la liste. Dans les campagnes, quand les bureaux disparaissent, la mairie ou les commerçants prennent parfois le relais. « On m’a déjà proposé d’ouvrir une agence postale communale mais j’ai refusé, » explique la maire, Agnès Varachaud. Le bureau de poste est aujourd’hui tenu par un facteur-guichetier du lundi au vendredi, trois heures le matin. Les habitants ne sont pas dupes : ils savent qu’il s’agit d’un sursis avant la fermeture. « Ma plus grande crainte, confie Agnès Varachaud, c’est que l’école disparaisse un jour elle aussi. » Ce serait alors la mort de Saint–Mathieu.

Maisonnais-sur-Tardoire, une commune adjacente, est également affectée par la désertion des services publics. Le maire, Raoul Rechignac, s’est fait une raison. « Il faut vivre avec son temps, dit-il. Les sacoches des postiers sont vides, on ne peut pas payer des facteurs quand il n’y a plus de courrier à distribuer ! » Une agence postale a été mise en place dans sa mairie il y a une dizaine d’années. Il se montre satisfait de son fonctionnement. Le concept représente à ses yeux « un bon compromis » : La Poste paye un modeste loyer, fournit le mobilier et la commune rémunère l’employé.

La fermeture des services publics en milieu rural est en partie due à la dématérialisation. Raoul Rechignac considère que cette dernière n’est pas un problème en soi, mais qu’« elle représente une réelle difficulté pour les personnes âgées isolées ». La plupart d’entre elles n’ont pas d’ordinateur et ne sont plus capables de conduire. Pour ces personnes en particulier, le départ des agents du service public a fait une différence. Elles doivent désormais se débrouiller seules. « Tout devient compliqué, râle Jacques. Même remplir des papiers ! On a besoin d’explications, on n’a pas la science infuse ! » 

Dans ces territoires ruraux auxquels l’État tourne peu à peu le dos, la mairie a naturellement endossé un nouveau rôle social en assistant ses habitants au-delà de ses missions. À Saint-Mathieu, un ordinateur mis à la disposition des habitants est relié à Pôle emploi, à la Caisse d’allocations familiales et aux caisses de retraite. Équipé d’une caméra et d’un scanner, il leur permet d’honorer leurs rendez-vous par visioconférence sans avoir à parcourir des kilomètres. Les employés de la mairie restent disponibles pour les aider à se connecter ou à envoyer leurs documents. C’est une charge de travail supplémentaire qu’ils acceptent sans trop rechigner.

À Maisonnais-sur-Tardoire, la mairie constitue aussi un point de repère pour ses 400 habitants. À son poste du lundi au samedi, Christine est plus qu’une secrétaire. « Je suis aussi guichetière ! » s’amuse-t-elle. Dans la petite pièce qui fait office d’accueil, accolé à son bureau noir, un guichet blanc et jaune estampillé La Poste prend toute la place. Christine passe d’un bureau à l’autre en fonction des besoins des visiteurs : réceptionner un colis, acheter des enveloppes, renseigner une feuille d’impôt… « Je remplis leur chèque, je colle le timbre et je l’envoie. Ça me fait plaisir et les gens sont contents de passer à la mairie. »

Car la fermeture des services de proximité, c’est avant tout la perte d’un contact humain. 

Les mairies deviennent le dernier rempart contre la solitude dans ces territoires où l’isolement est parfois très pesant au quotidien. « Je ne vends jamais de carnet de timbres, raconte Christine. Les habitants préfèrent venir en acheter un tous les deux jours. »

Madame Raymont, 81 ans, n’hésiterait pas à se rapprocher d’une ville moyenne si ses finances le lui permettaient. Elle supporte de moins en moins cet isolement. « On n’a rien pour se distraire, pas de commerce, dit-elle. On n’a même pas de boucherie ! » En ce lundi pluvieux à Saint-Mathieu, les rues sont vides. Les deux boulangeries sont fermées. Dans le centre, seule l’enseigne du tabac brille dans le gris hivernal. 

« On voit où cela va nous mener à terme, dit Christophe Gérouard, le président de la communauté de communes Ouest Limousin. On nous incite à aller vivre en ville et on gardera les campagnes pour se promener le dimanche. » Car c’est bien contre la désertification que luttent inlassablement les maires de village. Sans services publics, un territoire n’est pas attractif. Lorsque, par chance, des actifs s’installent dans l’un de ces villages, ils sont souvent contraints de partir travailler dans des villes comme Limoges ou Saint-Junien. « Ils prennent l’habitude de faire leurs courses là-bas », explique Christophe Gérouard. Une catastrophe pour les commerces locaux.

Solidaires, neuf maires des environs avaient manifesté leur mécontentement au moment du transfert de leur trésorerie à Rochechouart, une ville de 3 800 habitants qui appartient à une autre communauté de communes. Ils avaient déposé leurs écharpes dans un geste symbolique, sachant pertinemment qu’il n’aurait aucune conséquence concrète. « C’est un abandon de la part de l’État », se plaint le maire d’Oradour-sur-Vayres, Guy Ratinaud. Ils résistent pourtant. Pour Agnès Varachaud, « il faut être solidaire et penser à l’échelle de la communauté de communes ».

À Saint-Mathieu, un couple de commerçants s’apprête à abandonner le navire. Depuis leur arrivée il y a trois ans, ils assistent au naufrage du village. « Ça ne vit pas, il n’y a pas de familles », se désolent-ils. Ils n’attendront pas l’âge de la retraite comme ils l’avaient prévu. « On a mis en vente, confie l’homme, le regard triste tourné vers la fenêtre. Sauve qui peut… » 

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