En cette fin novembre 1943, pour la première fois, l’Américain Franklin Roosevelt, le Soviétique Joseph Staline et le Britannique Winston Churchill se rencontrent pour parler de l’avenir. Les Alliés pressentent déjà que la Seconde Guerre mondiale se terminera par leur victoire. Ils se retrouvent à Téhéran. Pourquoi ce lieu ? C’est Staline qui l’a choisi. Le maître de l’URSS veut un endroit sûr et proche de ses frontières. C’est le cas de l’Iran, qui a proclamé sa neutralité dans le conflit mondial, avant de déclarer la guerre à l’Allemagne au mois de septembre précédent. L’Iran que Britanniques et Soviétiques ont conjointement envahi en 1941 pour déposer son monarque, Reza Shah, qu’ils soupçonnent de sympathies pour l’Axe, l’alliance germano-italo-nipponne.

Les trois dirigeants n’entretiennent pas les mêmes relations avec l’Iran. Par le biais de l’Anglo-Iranian Oil Company (AOIC), le Royaume-Uni y dispose de positions pétrolières outrageusement dominantes. Londres s’intéresse de surcroît à l’Iran parce qu’il jouxte l’Irak, alors sous mandat britannique et qu’il maîtrise une des rives du golfe Arabo-Persique. L’URSS, de son côté, y jouit du soutien du Parti communiste, influent dans les milieux intellectuels, et parmi les Azéris et les Kurdes, deux importantes minorités en Iran. À cette époque, en revanche, les États-Unis ne s’intéressent pas encore à ce pays. Leur unique point d’appui au Moyen-Orient est en Arabie saoudite.

Successeur de son père, Mohammad Reza Pahlavi, porté sur le trône par les militaires britanniques et soviétiques, ne peut pas leur refuser grand-chose. Mais, alors que la guerre froide se met en place, opposant l’Est à l’Ouest, le communisme au capitalisme, deux camps alignés sur deux puissances dominantes et détentrices de l’arme nucléaire, les États-Unis et l’Union soviétique, un autre enjeu majeur surgit : la montée en puissance d’un vaste mouvement émancipateur dans les pays dominés par les vieux empires coloniaux, au premier rang desquels figurent la Grande-Bretagne et la France. En Iran, ce mouvement se focalise sur la gestion de la manne pétrolière.

Depuis les années 1920, l’AOIC a imposé à l’Iran « indépendant » des conditions draconiennes d’exploitation de son pétrole, à peine 10 % de la recette revenant au pays producteur. En 1935, un nouvel accord concède 20 à 25 % aux Iraniens. Mais face à un Royaume-Uni qui doit abandonner l’une après l’autre ses colonies, les revendications iraniennes s’affichent. En 1949, les Iraniens exigent de percevoir l’équivalent de ce que les Américains ont concédé à l’Aramco saoudien : la moitié de la recette.

Parmi eux, un homme élève la voix plus fortement. Il se nomme Mohammad Mossadegh (Mirza Mohammad de son vrai nom). Il n’a rien d’un jeune chien fou. À bientôt 70 ans, il est un dignitaire de la monarchie. Il a déjà occupé de hauts postes dans l’administration et au gouvernement royal. Et s’il est conservateur, il est aussi un nationaliste déterminé. Lui et son parti, le Front national, jugent que les Britanniques ont déjà suffisamment joui de l’or noir iranien. Le temps est venu de nationaliser leur société pour en faire profiter la nation. Un lobby probritannique, soutenu par les pétroliers américains, entre alors en action, qui s’y oppose farouchement et menace l’Iran de sanctions, incluant un embargo pétrolier qui mettrait le pays à genoux. Dès cette époque, de possibles sanctions anglo-saxonnes contre l’Iran sont brandies comme une menace potentielle contre sa souveraineté.

Le principe de la nationalisation de l’AOIC est voté en mars 1951 par le Parlement iranien. Un mois après, Mossadegh est nommé Premier ministre par le Shah. Londres et l’AOIC ont déjà indiqué qu’ils s’opposeront à cette nationalisation par tous les moyens. Pour la première fois, Washington intervient directement en Iran, s’affichant comme « médiateur ». Mossadegh va devenir le héros et la victime d’un épisode dramatique qui verra les États-Unis et la Grande-Bretagne, en coordination avec la monarchie Pahlavi, se coaliser pour mener à son renversement.

Dans un premier temps, Londres accepte la nationalisation, mais la négociation bute sur les compensations que l’AOIC exige. À l’été, le Royaume-Uni montre les crocs, envoyant des troupes en Méditerranée et dans le Golfe. L’affaire devient internationale. Mossadegh incarne la résistance aux prédateurs anglo-saxons. Moscou et tout ce que la planète compte de progressistes sont derrière lui. Fin 1951, Mossadegh effectue une tournée très réussie aux États-Unis. Le magazine Time en fait son « homme de l’année ». Mais très vite, le conflit se durcit.<

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