Comment débrancher en vacances ?

Le vrai sujet, c’est comment débrancher tout court. Il y a un mot que j’aime bien, le mot maya qui signifie illusion en sanskrit. Quand vous pensez déconnecter en partant en vacances, vous êtes dans l’illusion. Si nous ne sommes pas capables de déconnecter en permanence, nous n’en serons pas plus capables en vacances. J’en parle d’autant plus volontiers que je suis un malade mental de la non-déconnexion : je suis obligé de me soigner, j’y travaille tout le temps ! Il y a de cela vingt-cinq ans, j’ai eu un choc émotionnel dans le Sahara. Avant, j’avais une autre vie où je bossais et fumais du matin au soir : je dirigeais une entreprise d’information financière, j’étais un fou furieux. La nuit, je jouais à des jeux de stratégie, j’étais zéro débranché ! Lorsque je suis revenu du Sahara, j’ai pris conscience pour la première fois que ma vie était n’importe quoi. Ma reconversion en voyagiste a débuté ainsi.

Il y a, je pense, deux clés de la déconnexion. D’abord, la prise de conscience. On ne soigne pas un malade qui refuse de voir qu’il est malade. Les entrepreneurs, les politiques, les suroccupés ou les chômeurs, tous sont atteints à des degrés divers. Beaucoup n’en ont pas conscience et cela se termine par des maladies et des problèmes physiques.

La deuxième façon de traiter la déconnexion, c’est la discipline. Apprendre à renoncer. Par exemple, je m’impose trente minutes ou une heure de battement entre deux rendez-vous, cela évite d’être avec les gens sans y être. Là, j’ai l’esprit libre et je suis dans l’instant présent. Finalement, c’est cela la vraie libération. Pour quelqu’un d’indiscipliné comme moi, c’est un effort permanent. On peut déconnecter n’importe où : chez soi ou au bureau, s’imposer de lâcher son téléphone plusieurs fois par jour et se concentrer sur son corps ; au restaurant en famille ou en réunion au travail, faire en sorte que les téléphones ne soient plus là. Les outils électroniques sont une pollution terrible. On devient dingue avec cela.

Pour vous, c’est lié au développement du téléphone portable ?

Non, plutôt à l’arrivée du smartphone. Être joignable tout le temps était une chose, mais ce qui a tout changé c’est d’avoir ses mails. Avant notre rendez-vous, j’avais une heure de libre, je me suis dit : je vais m’installer et traiter mes mails en attendant. J’aurais pu à la place, profiter du lieu – et déconnecter… Chacun doit trouver ses propres outils pour que son mental arrête de sans cesse le ramener à ses préoccupations quotidiennes. Les miens sont : le yoga, la méditation, la marche… et, plus personnel encore, les mots croisés de Laclos dans Le Figaro, et le poker !

Quel est le rôle des voyages dans la déconnexion ?

Il y a des lieux qui correspondent à ma « détox ». Chez moi dans le Cantal, au milieu des burons, ces cabanes traditionnelles en pierre, je suis à 1 500 mètres d’altitude, complètement en dehors du monde. Mon rêve serait d’y passer trois mois avec ma bibliothèque idéale des grands auteurs du monde... Une fois par an, je pars en Égypte sur le bateau de Voyageurs du monde, un lieu merveilleux, hors du temps. Contempler les quatre couleurs des rives du Nil, c’est-à-dire le bleu du fleuve, le vert des cultures, le jaune du désert derrière, et le ciel en haut… Si avec ça vous n’êtes pas capable de déconnecter, c’est que vous êtes vraiment très gravement atteint ! L’important est d’aller dans des lieux qui vous parlent.

Le voyage est-il un bon moyen pour déconnecter ?

Pour qu’il le soit, il faut y mettre du sien. J’ai calculé que sur un voyage acheté à Voyageurs du monde, le nombre de problèmes possibles dépasse les mille ! La probabilité qu’il y ait un raté quelque part existe même si on fait le top du top. Je dis à tous ces gens qui voyagent, avec nous ou seuls, de d’abord discipliner leur mental pour passer un bon voyage. S’ils se prennent la tête, se disputent avec leur conjoint ou s’énervent du room service, ils reviendront encore plus stressés ! Les vacances suscitent une attente immense, suivie d’une désillusion totale pour ceux qui emmènent leurs soucis, leurs pensées négatives et émotionnelles avec eux.

Avez-vous l’occasion de le dire à vos clients ?

Oui. Je le dis dans le magazine Vacances que j’édite, dans les émissions Radio Voyageurs, un  podcast que je fais tous les quinze jours avec quatre invités sur un thème ou une destination : 100 % États-Unis, 100 % Afrique du Sud... Nous avons parfois dépassé les  100 000 auditeurs. Aujourd’hui, les gens vont tous en Iran, en Islande, au Japon et à Cuba. Or il faut aller ailleurs, et pas aux mêmes dates que tout le monde. Partir à Cuba en réservant trois mois à l’avance, c’est la garantie d’un stress maximal, alors qu’on peut se faire des voyages magnifiques où on profite des lieux et on débranche. Bien voyager, ça s’apprend. Plus je vieillis et plus je suis obsédé par le fait de profiter à plein. Il y a des voyages que je préfère ne pas faire, ceux où on me fait lever à 7 ou 8 heures du matin, où j’ai des transferts toute la journée, où le lendemain je continue… La chose fondamentale dans les voyages, c’est de prendre son temps. Si on ne flâne pas, on ne comprend rien, on ne voit rien, on ne sent rien et on ne débranche pas. Il faut arrêter de consommer des itinéraires. Vous allez en Chine ou en Afrique du Sud, vous voulez voir vingt spots. N’en prenez que trois et profitez-en !

Mais on part rarement en vacances tout seul. C’est un des moments où les membres de la famille se retrouvent. Comment peut-on le gérer ?

Si vous croyez que vous allez retrouver vos enfants juste parce que vous partez ensemble en voyage, je crains que vous ne soyez déçu. Il peut y avoir des moments plus privilégiés, mais si vous avez complètement lâché le lien avant, cela ne fonctionnera pas. Il est rare que des couples qui vont très mal aillent mieux au retour. Le voyage n’est pas un remède, c’est une aide. Je conseille toujours de bien choisir ses compagnons. Il y a des gens que j’aime avec qui je n’ai pas forcément envie de voyager parce que je ne suis pas en harmonie, en termes de rythme, avec eux. Cependant, cela peut être un moment formidable. Je pars tous les deux ans avec ma famille au sens large et on se fait un voyage fantastique. Parce qu’on est contents d’être ensemble, pas pour recréer des liens qui auraient disparu. Se réconcilier avec quelqu’un pendant un voyage... j’ai de sérieux doutes.

Comment avez-vous transposé ces réflexions en offres ?

Il y a cinq ans, Voyageurs du monde a opéré un virage important. Nous avons ajouté une dimension de profiling au voyage individuel sur mesure conçu par nos spécialistes pays extrêmement pointus. Si je conçois pour vous un voyage au Mexique, je vous proposerai le même itinéraire qu’à quelqu’un d’autre : vous n’êtes jamais allé au Mexique, vous avez envie de voir les spots clés du pays. Mais au-delà des spots, je vais mettre dans votre voyage un contenu qui n’a rien à voir pour l’un et pour l’autre, selon votre sensibilité, vos goûts, vos passions. Vous, je vous emmènerai voir un chaman mexicain, et l’autre, une course cycliste locale. C’est pareil pour la déconnexion : des gens nous le demandent, on va donc leur conseiller des endroits, des outils qui vont leur permettre d’augmenter leur « détox ». Mais on ne va pas les leur proposer d’emblée. Il faut qu’ils nous en parlent, que la démarche vienne d’eux.

Et si une personne vous contacte sans savoir où elle veut partir ?

Nous avons ce qu’on appelle des orienteurs. Ce sont les meilleurs spécialistes : ils connaissent énormément de choses mais ne vendent rien. Jamais. Ils discutent avec les clients, pour les conseiller selon leurs goûts, leur sensibilité et leurs disponibilités. Quand ils se mettent d’accord avec le client sur une destination, ils l’envoient dans les mains des spécialistes. Toute cette préparation et un peu de lâcher-prise font que lorsqu’on partira en vacances, on sera mieux armé pour déconnecter. Je ne devrais pas dire cela, mais je le pense profondément : ce n’est pas parce qu’on voyage qu’on n’emmène pas ses problèmes avec soi. Les gens qui disent : « J’en ai marre de ma femme, de mon boulot, je pars six mois en Inde », ils sont dans l’illusion la plus totale ; ils sont dans la maya

 

Propos recueillis par SOPHIE GHERARDIet JULIEN RIZZO

 

 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !