SAINT-LOUP-SUR-AUJON (Haute-Marne). L’atelier de bricolage baigne dans la lumière dorée du matin. Au fond de la pièce, Ethan s’est isolé à une petite table en bois. Les mains engluées dans la pâte à sel, le blondinet de 9 ans rend un hommage à Gribouille, son gros chat. À la Maison de Courcelles, une colonie de vacances qu’il fréquente depuis plusieurs années, seul son félin adoré lui manque. Dans cette immense bâtisse peuplée d’enfants, il oublie son quotidien, une fois par an.

« Ici, je me dé-con-necte de tout », dit-il, en insistant sur chaque syllabe. À commencer par les écrans, qui le rendent très nerveux. Minecraft, un jeu de console populaire, l’angoisse, surtout quand les monstres veulent le tuer ! Il aime pourtant y jouer plusieurs heures par semaine. « C’est trop bien, parce que dedans, on peut tout faire ! » s’exclame-t-il. Un point commun avec la Maison de Courcelles : dans cette colonie unique en son genre, les enfants sont maîtres de leur emploi du temps. Du lever au coucher, les petits vacanciers organisent eux-mêmes leur programme au gré de leurs envies. Les animateurs, un pour quatre enfants, se rendent disponibles pour les accompagner dans toutes leurs activités. Partir pêcher, organiser un tournoi de football, aller acheter des bonbons au village, faire un feu de camp à la tombée de la nuit… tout est envisageable. Une seule limite : la sécurité.

Fondée en 1979, la Maison de Courcelles est une association prônant la pédagogie de la liberté, un mouvement éducatif lancé par des animateurs post-soixante-huitards désireux de rompre avec les colonies de vacances traditionnelles. Depuis trente-cinq ans, elle accueille chaque année des centaines d’enfants au sein d’une belle demeure en pierre. Construite en 1860 sur un ancien terrain de chasse des rois de France, elle hébergeait à l’origine un orphelinat pour fillettes géré par une communauté religieuse. Les pensionnaires étaient contraintes d’accomplir des travaux agricoles, en témoigne le corps de ferme qui jouxte la maison. Un peu plus d’un siècle plus tard, les enfants ont pris leur revanche, s’amusant librement dans toutes les pièces, de la ludothèque au cirque installé dans l’ancienne chapelle, en passant par la salle de lecture, les ateliers de bricolage et de couture, la cuisine, l’immense jardin et les chambres.

S’inspirant en partie des travaux de Maria Montessori, la pédagogie de la liberté se base sur un postulat : seul l’enfant connaît ses propres besoins. Intégré dans un groupe pouvant compter jusqu’à 120 camarades âgés de 4 à 14 ans, chacun peut choisir à tout moment de s’isoler ou de se mêler aux autres. « Cette liberté rend possible une vraie rencontre spontanée », explique Louis Létoré, directeur de l’association pour qui la mixité du public accueilli est fondamentale. À Courcelles, les enfants de l’Aide sociale à l’enfance côtoient aussi bien de jeunes ruraux, inscrits à la journée, que les rejetons de cinéastes célèbres. « C’est aussi ça, la déconnexion : s’extraire de son milieu social », insiste le directeur.

Celui-ci tient néanmoins à préciser que liberté n’est pas synonyme d’enfant roi. Seuls ou par petits groupes, les enfants établissent certaines règles qu’ils s’engagent à tenir tout au long de la semaine, comme l’heure du coucher. Ces règles restent très souples et modifiables à tout instant, l’idée étant d’apprendre aux enfants l’autonomie… et rien d’autre. « Comme les adultes, les enfants ont besoin de souffler pendant les vacances, explique-t-il. J’en suis intimement persuadé. »

Aux yeux de ce directeur engagé, les colonies pour mineurs ont progressivement perdu de vue leur objectif premier : permettre aux enfants de vivre de vraies vacances. Séjours linguistiques, stages de rattrapage scolaire ou de sport, voire de permis de conduire… la tendance est aujourd’hui à l’apprentissage et à la consommation. Adrien, un collégien originaire de Romainville en vacances à la colonie, a gardé un souvenir amer de ses stages de football. « C’était comme à l’armée, dit-il. On se levait à 7 h 30, notre temps libre était chronométré et on ne pouvait pas choisir nos équipes. Du coup, tu ne jouais pas forcément avec tes potes. » Lila-Marie et Émilie, deux fillettes âgées de 7 ans, tiennent le même discours : les stages d’équitation « c’est bien, mais ici c’est mieux parce qu’on est libre ».

Lieu expérimental par essence, la Maison de Courcelles fait partie des rares initiatives qui réfléchissent à la notion de loisir chez les mineurs. Depuis sa création, elle ne cesse de se remettre en question, faisant continuellement évoluer sa méthode à travers de nouveaux jeux et de nouvelles manières d’interagir avec les enfants. Bien qu’elle soit une source d’inspiration importante, la méthode Montessori a ses défauts. « Elle a tendance à former des enfants individualistes, explique Louis Létore. Ici, nous prenons en compte l’individualité de chacun, en insistant aussi sur le vivre-ensemble. »  L’avenir de la maison est néanmoins compromis, celle-ci devant répondre à des normes de plus en plus strictes.

Il est 23 h 30, c’est l’heure de la réunion quotidienne. Dans la salle à manger, les animateurs attendent que deux d’entre eux terminent de coucher les enfants à l’étage pour faire le point sur la journée. Groupés autour d’un smartphone, ils visionnent une vidéo de crowdfunding tout juste mise en ligne. La Maison de Courcelles doit trouver un million d’euros d’ici l’année prochaine afin de rénover la bâtisse et réaliser des aménagements. Si la collecte n’atteint pas l’objectif, l’établissement fermera ses portes. Ce sont les enfants qui risquent de ne pas comprendre. Ils commençaient tout juste à se rendre compte que la liberté n’a pas de prix. 

 

MANON PAULIC

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