Soixante ans après sa mort, les livres d’Albert Camus sont toujours nos compagnons. L’Étranger, son premier roman, publié en 1942, reste l’un des textes les plus lus dans le monde. Ses pièces de théâtre sont régulièrement mises en scène, tout spécialement par de jeunes troupes. Et il s’est trouvé cette année en France 100 000 lecteurs – deux fois plus que d’habitude – pour acheter La Peste, ce roman en forme de fable sur la violence et l’Occupation.

 

D’où vient cette actualité, qui dépasse l’anecdote ? D’où vient, de nos jours, la puissance du message camusien ? C’est ce que tente d’analyser ce numéro exceptionnel du 1 en décryptant quelques-uns des grands thèmes qui traversent son œuvre d’écrivain et de journaliste : la quête de la liberté, le refus du « virus nationaliste », la préférence donnée à l’individu sur les idéologies, les moyens de surmonter la fatigue démocratique, la volonté de libérer la presse des liens de l’argent…

Franc-tireur, il est notre contemporain parce qu’il a le cran, tout au long de sa vie, de ne jamais courir en meute.

Sur tous ces sujets, Camus offre une « cure d’altitude mentale », pour reprendre une expression de Proust. Franc-tireur, il est notre contemporain parce qu’il a le cran, tout au long de sa vie, de ne jamais courir en meute. Il s’insurge contre le colonialisme dans les années 1930, il entre en clandestinité durant les années noires, il condamne le largage de la « bombe atomique » sur Hiroshima quand l’Occident l’applaudit dans l’euphorie de la Libération, et dénonce le goulag au grand dam de l’intelligentsia française de l’époque.

 

Rebelle, il sera toujours minoritaire. Il cultive un « devoir de nuance » dans une époque qui l’ignore. L’historien Benjamin Stora nous éclaire, dans le grand entretien que nous publions, sur ses engagements politiques méconnus, sur sa proximité constante avec les anarcho-syndicalistes. Des racines profondes qui lui donneront la force et le courage de toujours se dégager des entraves, de choisir le bonheur contre le malheur, la liberté contre la soumission.

Camus a été durement traité de son vivant.

On ne le sait plus, mais Camus a été durement traité de son vivant. Aimé et admiré dans le monde entier, il était souvent méprisé dans son pays. L’enfant pauvre d’Alger se voyait ravalé au rang de parvenu, de « paysan endimanché ». Alors qu’il venait d’être consacré à Stockholm par le prix Nobel de littérature, son ancien journal Combat se permit d’écrire : « Les petits pays admirent les parfaits petits penseurs polis. » La politesse d’Albert Camus était ailleurs. Il ne trichait pas. Il ne composait pas. Il se dépassait pour nous tendre la main. 

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