Les yeux dans le nez
il veut se délier l’encéphale
pour en faire un point de côté
Mais il n’a pour ciseaux
que le dard des parasites
qui aiment les promenades
dans l’ombilic instable
où la colle fait des bulles
et de longs filaments blancs
Doit-il percer son tympan
pour que cesse le bourdon
Ou crier dans sa tête
plus haut que le bruit
Lâchez-moi moi moi

 

D’un coup, la question m’obsède : Nostradamus a-t-il prédit le Covid ? Je me précipite sur le recueil des Centuries, qui contient ses trois cent cinquante-trois quatrains prophétiques, et mon édition de poche se transforme en grimoire.

 

Après grand trouble humain, plus grand s’apprête,
Le grand moteur les siècles renouvelle.
Pluie, sang, lait, famine, fer et peste,
Au ciel vu, feu courant longue étincelle.

 

Le grand moteur, m’explique en note un commentateur, c’est Hiroshima, la bombe atomique. Et le lait, la maladie des contaminés. Mais, que pourrait être alors ce feu courant longue étincelle ? Une comète, un satellite ? Je sais : c’est la trace laissée dans le ciel par la mission SpaceX Crew-2 qui décolle le 22 avril de Floride pour transporter à son bord quatre astronautes jusqu’à la Station spatiale internationale !

 

Vous verrez tôt & tard faire grand change,
Horreurs extrêmes & vindications :
Que si la lune conduite par son ange,
Le ciel s’approche des inclinations.

 

Puisque le terme « tôt » renvoie à 1792, selon les calculs des spécialistes, « tard », c’est forcément maintenant. Et le ciel, qu’ils disent être la « Chine », est proche de grands changements !

 

Avant longtemps le tout sera rangé,
Nous espérons un siècle bien senestre :
L’état des masques & des seuls bien changé,
Peu trouveront qui à son rang veuille estre.

 

Hélas, quel étrange objet poétique que l’oracle ! Du carcan des rimes à l’élision des articles, des noms d’animaux aux mentions de lieux à l’aura fantastique, tout concourt à multiplier les interprétations. Nostradamus prétendait qu’après avoir étudié les astres, il avait composé ses vers « d’un naturel instinct accompagné de fureur poétique ». Et, ce sera aussi l’état de son lecteur, troublé par le labyrinthe des vers, où les mots sonnent compact comme des pierres dressées sur les chemins par un Petit Poucet malfaisant.

 

Son époque est sinistre : un XVIe siècle en proie aux guerres de religion, aux famines, et à la peste, qu’on appelle alors « le charbon provençal ». Avant de devenir le « médecin ordinaire » de Charles IX, l’astrologue Nostradamus aurait soigné ses malades grâce à une préparation pharmaceutique de son cru. La scène est bien éloignée de l’image qu’on se fait de cette Renaissance, âge de progrès et de raison. Qui sait ? Après la pluie ne viendra sans doute pas le déluge. Peut-être les futures générations verront-elles dans notre Grand Confinement le début d’un nouvel Âge d’or. Quand ressusciteront les abeilles et que plus jamais « le miel [ne] sera beaucoup plus cher que cire »…

 

Me voici fébrile à scruter le ciel nocturne. Si j’aperçois la traînée de la fusée Falcon 9 qui transporte Thomas Pesquet dans l’espace, ce sera un signe : en France, le confinement prendra fin à la mi-mai, et le virus reculera !… Il existe des vers pour décrire mon état. Ils se trouvent au début de L’Après-midi d’un faune de Stéphane Mallarmé. Comme nul autre, ils miment le fonctionnement de la pensée : 

 

Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui demeuré les vrais
Bois mêmes (…)

 

Les lampadaires éclairent les rues vides comme autant de lampions d’un carnaval désert ; ils escamotent les étoiles ; je regarde, je ne vois rien, et mes prunelles noircissent à force de traquer la lumière. C’est du fond de mon cerveau, pâteux et blanc comme la Voie lactée, que naît une lueur : deux vers écrits par Pétrarque, il y a près de six cents ans, qui ont survécu aux guerres, aux épidémies et aux révolutions de notre planète :

 

Car, bien que je sois corps mortel et de terre,
Mon dur désir vient des étoiles.

 

Au ciel qui ne veut plus rien me dire, je souris. Et, avec la ridicule gravité d’un Terrien parmi des milliards d’autres, je lui gueule : « J’aspire ! »

 

 

 

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