Pour des raisons historiques et géographiques, la France accueille beaucoup de voyageurs, ce qui lui donne souvent une image de « pays des vacances », sous-entendu un peu dilettante – impression fausse, car les Français sont très productifs. Nous avons une diversité de mers, de montagnes, de régions à forte identité… et la France est la route naturelle de l’Europe vers la Méditerranée qui est le cœur historique du tourisme. Aussi la France est-elle le seul pays, avec la Thaïlande, où le nombre de touristes dépasse le nombre d’habitants : 85 millions de touristes étrangers viennent en France chaque année pour 63 millions d’habitants. Sans oublier que les Français eux-mêmes circulent beaucoup dans l’Hexagone pour y faire du tourisme !

Et pourtant, le chiffre d’affaires du secteur ne suit pas. Les Américains et les Chinois réalisent un chiffre d’affaires beaucoup plus important avec beaucoup moins de touristes. Ils font du business là où les Français pensent fierté nationale, art de vivre et culture. La France a énormément investi pour restaurer son patrimoine, protéger ses paysages, rénover ses centres-villes, mais elle n’a jamais eu de grande politique du tourisme. « Faire du tourisme » est encore perçu comme quelque chose d’un peu dévalorisant.

Le paradoxe est que de nombreuses innovations dans le secteur du tourisme sont nées en France comme le Club Méditerranée, Nouvelles Frontières et ses grands voyages bon marché, le tourisme social, les parcs régionaux… Mais nous finissons toujours par perdre les entreprises du secteur – on l’a vu avec le Club Med et on le voit maintenant alors que le groupe hôtelier Accor est convoité par des investisseurs chinois. Heureusement qu’il y a Euro Disney ! On n’a pas protégé ces entreprises alors que cela a été fait pour des fleurons industriels. Comme si le tourisme n’était pas un secteur sérieux. Il représente pourtant 9 % de l’emploi mondial, et environ 7,5 % de l’emploi en France. Notre grand atout, c’est la mise en désir de la France et de ses produits, de son art de vivre.

Dans l’économie française, le tourisme pèse bien plus que l’agriculture ou l’automobile, mais nous n’avons pas une grande école avec un grand centre de recherche sur le tourisme qui allierait formation, recherche et développement. C’est un secteur extrêmement complexe, il y a des problématiques de logistique, de transport, d’immobilier, d’écologie, de culture, d’histoire… La France est fascinée par la production des objets, et a du mal à s’intéresser à ce qui est une pépite culturelle, éthique, imaginaire et économique. Lors de son passage au Quai d’Orsay, Laurent Fabius a fait du bon travail en liant affaires étrangères et tourisme. En même temps, il aurait fallu favoriser les départs des Français eux-mêmes, car les citoyens doivent sentir que la politique touristique leur est adressée. Et le tourisme c’est aussi le tourisme d’affaires, de santé, d’éducation… Le Grand Paris doit devenir une grande place mondiale des congrès. Cela se fera entre Roissy et Paris. Les enjeux sont gigantesques car là se construira une mondialisation des intelligences. Londres a la finance, Paris doit avoir les congrès !

Voilà pour la stratégie « macro ». Mais on peut aussi agir dans le « micro ». Un exemple : le château de Chantilly recevait 300 Chinois par an. La direction a embauché une cadre chinoise, les commerciaux sont allés à la foire de Canton où ils ont négocié avec les producteurs d’une série télé chinoise qui a tourné un épisode à Chantilly. Résultat, ils en accueillent aujourd’hui 15 000 et en attendent 50 000 dans les cinq ans. Le tourisme est fait d’écoute et de respect de l’autre. Il ne s’agit pas de traduire le même discours dans différentes langues, mais de réinscrire la même histoire dans différentes cultures. Le tourisme se construit comme n’importe quel produit. Nous recevons une clientèle de Dubaï mais nous avons très peu d’hôtels halal. C’est un manque d’ouverture culturelle.

Les enjeux changent très vite. Le tourisme a saisi les grandes villes, qu’il a rendues plus agréables à vivre et plus attractives, ce qui a attiré la nouvelle économie collaborative et numérique. Une véritable classe créative tire les métropoles vers le haut. En France, elles pèsent déjà 61 % du PIB et cela va s’accélérer avec d’énormes réalisations comme le Grand Paris, EuropaCity… Les grandes capitalisations boursières sont déjà dans les secteurs du divertissement et de la communication. Au fond, le tourisme a ouvert la voie à des sociétés où l’intervention directe sur le désir génère du développement économique. 

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