SAINT-DENIS. Fabrina s’engage dans le restaurant, plein à craquer. Il est à peine 9 heures du matin. À travers les baies vitrées, la lumière hivernale emplit la pièce où plane une douce odeur de café. Calepin serré contre la poitrine et crayon en main, la quadragénaire se fraye un chemin parmi les chômeurs. Comme elle, ils sont nombreux à être venus participer à la 174e rencontre organisée par l’association Café contact de l’emploi, dans l’espoir de repartir avec la promesse d’un entretien d’embauche. 

Lancée il y a dix ans par Paul Landowski, cette initiative propose des rencontres informelles dans des cafés, sans présélection par le CV, entre des employeurs et des chômeurs. Pour participer, aucun prérequis : seule la motivation compte. Et pour le fondateur de 57 ans, lui-même ancien chômeur, « venir, c’est déjà montrer qu’on veut du boulot ». Le discours vaut aussi pour les employeurs : « Quand t’es là, c’est que t’as au moins un poste à pourvoir, et tout de suite. On n’est pas un salon, ni un forum ! On veut du résultat. »

Micro en main, Paul Landowski prend plaisir à jouer les animateurs par-dessus le brouhaha ambiant. Il fait résonner dans le restaurant ses phrases fétiches : « le contact d’abord, le CV ensuite ! », « un café pour un CV ! »… Il encourage, il positive : « Allez discuter avec tous les employeurs, sans préjugés ! On ne sait jamais ce qu’ils peuvent avoir à vous offrir. » 

Fabrina suit son conseil. Elle avance de table en table, à la rencontre des quinze employeurs potentiels dont elle a dressé la liste dans son carnet. D’un coup de crayon, elle raye le nom de ceux auprès desquels elle a déjà déposé son CV : 

– Natura Brasil, entreprise de cosmétiques basée à Paris ;

– Altidom, entreprise d’aide à domicile ;

– Fondation Sainte-Marie, association d’aide à la personne ;

– Keolis, société de transport public de voyageurs ;

– Quiksilver, marque de vêtements de sport de glisse.

Puis elle élimine les employeurs dont elle n’est pas la cible, comme la police nationale, présente ce jour-ci pour recruter des cadets de la République. « On participe régulièrement à Café contact de l’emploi à l’échelle du département, raconte Pierre Hertzel, délégué à la cohésion police-population au commissariat de Saint-Denis. Les jeunes sont mal informés des possibilités qu’offre cette formation. Du coup, on vient directement à leur rencontre pour leur expliquer. » 

Michel Fulmanski, qui représente la plateforme de services à domicile O2, a déjà embauché deux personnes en CDI lors de la dernière rencontre qui s’est tenue à Aubervilliers, en janvier dernier. « Nous avons un planning qui craque, répète-t-il. Vous êtes là aujourd’hui, demain on commence. »

Alexandra Martin, responsable des ressources humaines chez Quiksilver, recherche désespérément des vendeurs à temps complet ou partiel payés au SMIC, des responsables de rayon et des managers de magasin. « Nos annonces en ligne ne reçoivent aucune candidature, soupire la jeune femme, qui dit ne pas comprendre pourquoi. C’est visiblement un problème propre à la France car en Espagne et au Portugal, on les compte par centaines. » Pour trouver des candidats, son équipe multiplie les initiatives parallèles comme le « job dating », mode de recrutement sous la forme d’entretiens d’embauche limités à une dizaine de minutes. 

« Ça remonte le moral de rencontrer des gens dans le même cas que vous. Autrement, on s’enferme »

Au centre de la pièce exiguë, collés les uns contre les autres, des chômeurs attendent leur tour en discutant. Sophie a échangé son numéro de téléphone avec une autre femme, elle aussi au chômage. « Ça remonte le moral de rencontrer des gens dans le même cas que vous, dit-elle. Autrement, on s’enferme. » 

Fabrina est parvenue au bout de sa liste. Avec ce regard triste qui l’a accompagnée toute la matinée, elle confie avoir « parfois l’impression d’être en dépression ». Licenciée pour des raisons économiques en janvier 2015, elle avait travaillé pendant quinze ans pour la même entreprise. Depuis trois mois, elle passe son temps face à son ordinateur, réalisant que « le chômage, c’est aussi beaucoup de solitude et de vulnérabilité ». Alors elle apprécie les initiatives comme celle-ci, qui l’accompagnent et recréent du lien social, indispensable pour trouver l’énergie de se battre sur ce marché de l’emploi réduit comme peau de chagrin. 

Perdue « dans la jungle d’Internet », elle se sent dépassée par les plateformes en ligne et par les réseaux sociaux professionnels tels que LinkedIn. « Les annonces se ressemblent toutes ! C’est difficile de comprendre ce que les entreprises cherchent réellement, tellement tout est formaté. » Question de génération ? Apparemment non. Rayyane, étudiante de 21 ans, est à la recherche d’un contrat en alternance. Elle a, elle aussi, épluché les annonces en ligne mais n’a « reçu aucune réponse ».

Quid du système traditionnel de Pôle emploi ? Ce matin, au café, personne ne veut en entendre parler. Pour Stéphane, ancien contrôleur de gestion, l’agence est « trop bureaucratique » et « avec le nombre de demandeurs d’emploi aujourd’hui, ses structures ne sont plus adaptées. Il faut des initiatives de terrain ! ». Un avis que partage Paul Landowski, alias « Paul Emploi », pour qui le système est « hors réalité », « pas assez pragmatique ». Il a bien essayé de travailler en collaboration avec eux, mais lui non plus n’a jamais eu le moindre retour. 

La matinée touche à sa fin. Les questionnaires qui jonchaient les tables disparaissent progressivement, il est l’heure de dresser le couvert. Chaque employeur a rencontré une vingtaine de personnes, dont certaines seront recontactées dès cet après-midi pour un deuxième échange, plus approfondi. Depuis 2006, plus de 20 000 candidats et 3 000 employeurs ont participé au Café contact de l’emploi. En moyenne, 10 % de ces rencontres ont abouti à la signature d’un contrat de travail. « Et regardez, conclut-il en levant les yeux vers le barman qui s’affaire. On fait même vivre les cafés de quartier… » 

 

La prochaine rencontre organisée par Café contact de l’emploi aura lieu le 31 mars 2016, de 9 heures à 11 h 30, au centre commercial Beau Sevran, à Sevran. 

L’association adhère au mouvement citoyen Bleu Blanc Zèbre. 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !