Tracer une voie pour réformer ou refonder le droit du travail est un exercice politique périlleux. Les avatars du projet de « loi travail » en sont un témoignage. Car pour se lancer dans pareille réforme, il faut disposer d’un diagnostic sérieux sur l’état de ce droit et fixer des orientations fermes et pertinentes.

La presse accueille avec bienveillance un discours inspiré par une vision économique du droit très rudimentaire, qui demande que le Code change d’âme. Jadis destinée à offrir quelques garanties aux salariés contre des abus de pouvoir patronal, la législation devrait dorénavant offrir une sécurité aux employeurs face à des salariés nécessairement querelleurs et à des juges par définition ignorants des réalités de la vie économique. Grâce à ce changement d’état d’esprit, l’embauche retrouverait vigueur, dit-on, puisqu’il serait devenu commode de licencier. Ce programme oublie que le droit du travail n’est pas un droit du marché du travail et qu’une entreprise, pour bénéficier d’une organisation efficace, d’un climat d’inventivité et d’une coopération de qualité entre employeur et salariés, requièrent de ces derniers qu’ils puissent s’engager sur le long terme sans craindre, à tout moment, de perdre leur travail.

C’est pourtant parce qu’il a inséré dans son projet des dispositions inspirées par cette vision que le gouvernement a essuyé un gros orage. On en oublie presque que son projet a d’autres ambitions. L’une est encore embryonnaire. Elle repose sur ce pronostic que les vies professionnelles de demain, et déjà d’aujourd’hui dans une certaine mesure, seront discontinues, changeantes et peu homogènes. Il importe donc de développer des droits plus attachés à la personne et moins à l’emploi. Le compte personnel d’activité s’inscrit dans cette perspective. Mais, faute d’un financement généreux, moyennant une ample mutualisation, et d’un mode d’emploi ouvert, il est et reste une simple promesse. Au demeurant, il ne saurait se substituer à tout.

Une autre ambition consiste à redistribuer les rôles entre la loi, jugée trop prolixe, et la négociation collective, notamment d’entreprise. C’est à un essai de cet ordre, dans le vaste domaine du temps de travail, qu’est vouée une importante partie du projet de loi. L’expérience qui est tentée n’est pas sans embûches, car il s’agit de convaincre des mérites que présentent les solutions négociées, ce qui suppose que syndicats et employeurs n’aient pas trop intérêt à fuir devant la négociation. Notamment, il ne faut pas que le droit applicable à défaut d’accord soit plus attirant qu’un droit négocié. Il faut aussi veiller à ne pas affaiblir les syndicats.

Une telle ambition suppose, de toute façon, que soient établis les piliers du droit du travail. Ce devrait même être l’ambition première. Car il s’agit bien du passage obligé pour toutes les évaluations d’envergure. Sans ces piliers, que le comité présidé par Robert Badinter a proposé d’appeler les principes essentiels, il n’est pas possible de concevoir comment permettre, encourager, mais aussi encadrer la diversité des régimes de travail qu’annonce la négociation d’entreprise. Sans ces principes, il est difficile d’imaginer qu’entrepreneurs et salariés, actuels et futurs, retrouvent confiance en la loi. Sans ces principes, qui accordent une place centrale à la considération de la personne au travail, qu’elle soit salariée ou travailleur économiquement dépendant, le droit du travail dérivera lentement vers ce droit soumis aux malfaçons des politiques de lutte contre le chômage, un droit pulvérisé et inconsistant. Sans ces principes, il deviendra impossible de rétablir un Code moins formaliste, plus accessible car plus intelligible.

Le gouvernement avait paru faire sienne cette ambition, en proposant la consécration par la loi, sous la forme d’un préambule au Code, des principes essentiels formulés par le comité présidé par Robert Badinter. Mais l’orage s’est levé et le gouvernement, sensible aux vents mauvais, y a finalement renoncé.

Quand on vérifie que la révision du Code du travail est un exercice périlleux… 

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