AVANT D’ÊTRE UN PROBLÈME, LE CHÔMAGE EST UNE SOLUTION.

Comme l’inflation hier, il a permis, au cours des dernières décennies, de contourner des questions aussi importantes que celle du partage optimal entre revenu et emploi qui, prise frontalement, menaçait de révolter le corps central de la société française : les actifs occupés.

Nous avons en effet assumé la crise, depuis le milieu des années soixante-dix, grâce à un consensus social fondé sur le partage des revenus à travers les transferts sociaux plutôt qu’à travers le travail : les hauts niveaux de rémunération (salaires et cotisations) et de productivité des actifs occupés favorisaient la progression du chômage non qualifié ; en même temps, ils rendaient cette progression relativement indolore en permettant de financer une protection sociale étendue qui lui servait d’amortisseur.

Le chômage n’était donc pas une fatalité. Pour le dire brutalement, il était et demeure l’effet d’une préférence collective, d’un consensus inavoué.

Ce modèle a épuisé ses vertus. Son coût, désormais, est supérieur au bénéfice qu’on en tire. Le chômage atteint un seuil socialement insupportable. Surtout, il promet de se développer chaque jour davantage.

Si l’on veut le combattre efficacement, il faut cesser de l’appréhender comme un fléau aux origines inconnues qui gangrènerait, à son corps défendant, la société française. Il convient, au contraire, de l’envisager comme un système de régulation auquel nous avons consenti implicitement. Dès lors que ce système de régulation ne fonctionne plus, les choix qu’il avait permis d’éluder reviennent à la surface : la conscience des méfaits de l’inflation a obligé la France à s’interroger sur la compétitivité ; la conscience des méfaits du chômage devrait incliner à réformer notamment nos équilibres entre revenu et emploi. 

Dans un pays qui dispose d’un produit intérieur brut par habitant parmi les plus élevés du monde industrialisé, et souffre en même temps d’un des taux de chômage les plus importants, la question centrale du débat social ne peut plus être d’assurer la croissance des rémunérations du travail et des revenus de remplacement. 

Il s’agit bien plutôt de se demander comment passer d’un consensus fondé sur une logique de partage des revenus par les transferts sociaux, dont le chômage est la résultante, à un consensus fondé sur le partage des revenus par le travail, dont la maîtrise des rémunérations directes ou indirectes serait la clé de voûte.

Or, si le consensus sur les transferts sociaux a persévéré alors même que le chômage touchait plus de dix pour cent de la population active, c’est qu’il était solidement arrimé. 

 

Extrait de « La préférence française pour le chômage », Le Débat, no 82, 1995

 

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