Le juge prud’homal revient de loin. Avant que l’exécutif ne se résigne à raboter le projet de loi El Khomri sur le travail, cette juridiction était vouée à ne plus appliquer que des barèmes pour « sanctionner » les licenciements abusifs. La plume soudain assouplie de Manuel Valls a finalement rétabli le rôle premier du juge des prud’hommes. On pourrait se dire que le maintien de cette juridiction dans la France de 2016 est désuet, nous ramenant à une vision marxiste, classe contre classe, patrons contre salariés. Mais neutraliser le juge eût été autrement préjudiciable. Il faut se référer aux travaux du juriste Alain Supiot et à sa Critique du droit du travail pour saisir l’importance du juge. Dans la droite ligne de la philosophie des Lumières, un contrat lie en théorie deux parties égales. Mais cette égalité disparaît à la signature du contrat, dès que l’une des parties aliène sa liberté en faveur de l’autre, dans un rapport de subordination à l’employeur. Comment cette contradiction est-elle résolue ? « Le travailleur qui abolit sa liberté individuelle la retrouve dans la figure du travailleur collectif incarné par le syndicat devenu le garant de sa liberté », nous explique Daniel Cohen, avant de (se) demander : « Dans la France désyndicalisée, qui joue ce rôle de garant, sinon le juge ? » Un patron ne peut traiter n’importe comment son salarié parce que le recours à la justice demeure possible. Une dimension anthropologique qui a failli échapper au gouvernement. 

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