En Amérique latine, les primaires sont un phénomène massif qui a émergé dans les années 1990, à l’époque des transitions démocratiques. On croit en France que ce processus est nouveau, mais il n’en est rien.

En Argentine, le Frepaso, une coalition de gauche, a organisé en 1995 des primaires massives auxquelles 2,5 % de l’électorat global a participé. À l’origine de ces initiatives on trouve souvent des leaders issus de mouvements sociaux et désireux de mettre en adéquation le processus démocratique de leur pays et la vie interne des partis. Certains avaient pris part à la formation ou à la réémergence des partis après la fin des régimes dictatoriaux. Ils ont poussé à la mise en œuvre des primaires dans une logique de participation très large, avec l’idée, notamment, d’inclure les milieux populaires dans la vie politique. 

Dans d’autres cas, ce sont les législations électorales nationales qui ont imposé aux partis le recours aux primaires. Ainsi depuis 1996 au Costa Rica, en Uruguay et au Paraguay, et depuis 1999 en Bolivie. En Uruguay, 50 % du corps électoral prend part aux primaires. Les modalités varient et peuvent donner lieu à des controverses. La question se pose de savoir qui peut participer. Dès 2001, dressant un premier bilan de ces procédures en Europe et en Israël, les chercheurs en science politique Gideon Rahat et Reuven Hazan ont parlé de « sélectorat » et se sont demandé qui sélectionne les électeurs. Dans les pays où la législation prévoit des primaires, les instances électorales sont souvent en charge de la validation des résultats. Quand les partis eux-mêmes organisent la consultation, les résultats sont souvent contestés. 

Le Mexique est un cas très intéressant car il a fonctionné comme un laboratoire à grande échelle. Dans les années 1990, le Parti de la révolution démocratique (PRD), né en 1989 et situé à gauche, va mettre en place des primaires et des élections internes pour l’ensemble des candidatures, des municipales aux présidentielles, mais aussi pour les postes à l’intérieur du parti : environ 40 000 postes partisans sont ainsi attribués et plus de 5 000 candidatures. Dès 1996, on assiste à des primaires ouvertes auxquelles tous les citoyens peuvent participer. En général, elles ont lieu dans l’espace public, sur les places et dans les marchés. Le but est qu’elles soient le plus visibles possible. Si elles ne se déroulent pas dans les locaux du parti, c’est aussi pour éviter qu’un courant ou un autre ne soit suspecté d’avoir faussé le scrutin. Cette dynamique a été initiée par les dirigeants du parti issus du Mouvement urbain populaire, ces organisations latino-américaines qui ont lutté pour améliorer l’accès aux services publics dans les quartiers populaires. L’instauration de primaires pour les législatives a permis de développer une plus grande mixité sociale grâce à -l’organisation d’élections dans les zones défavorisées. On a ainsi vu un dirigeant venu d’une banlieue de Mexico battre un intellectuel très reconnu et devenir député. C’est cette dynamique qui a permis au PRD de s’imposer comme la deuxième force politique du pays. Le militantisme territorial étant surtout féminin, nombre de femmes ont en outre été élues à la députation.

Mais il est compliqué d’organiser des élections dans un pays grand comme quatre fois la France. Les défis logistiques sont immenses. Au cours des années 2000, des controverses ont éclaté, liées notamment au fait que ces mécanismes tendent à renforcer les courants dominants dans les partis et à marginaliser les challengers qui ont moins de ressources pour faire campagne. Des candidats ont dénoncé le caractère non démocratique de cette procédure qui paraît au contraire très démocratique. Le PRD a donc peu à peu diversifié ses méthodes et n’a plus recouru aux primaires de façon systématique. Mais un phénomène de contagion s’est produit : depuis l’an 2000, les autres partis ont adopté ce processus pour la présidentielle. Quant au PRD, il a procédé à la primaire par sondage pour éviter l’écueil des difficultés matérielles d’organisation : en 2012, son candidat a ainsi été désigné par sondage auprès de l’ensemble de la population.

Au final, les primaires ont renforcé une tendance déjà présente : la forte personnalisation des campagnes. Le débat d’idées n’a presque plus d’espace. La machine partisane est en permanence tournée vers les élections. On observe aussi une tension entre électeurs sympathisants et militants. On enlève à ces derniers l’une des rares prérogatives qui leur restaient. Enfin reste posée la question de l’organisation matérielle des primaires. Si elle n’est pas impeccable, le risque de contestation est très préjudiciable en période électorale. Le bilan est en demi-teinte mais il serait inenvisageable aujourd’hui de revenir en arrière. 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO

 

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