Les fondamentaux du mouvement Slow Food défendent des produits « bons, propres et justes »... Pourquoi insister sur ces trois aspects ?

La vraie qualité alimentaire passe aujourd’hui par ces trois adjectifs. Traditionnellement, la gastronomie se résume à l’harmonie des saveurs, mais le moment historique dans lequel nous sommes implique désormais de ne dissocier la dimension gustative ni de l’environnement ni de la dignité du paysan ou des personnes qui travaillent en amont de ces saveurs.

Nous avons besoin de libérer la gastronomie de sa dimension actuelle de « show », de cet aspect spectaculaire que lui confèrent les médias. Il faudrait revenir à la définition plus globale qu’en donne Brillat--Savarin dans sa Physio-logie du goût. Les Français se souviennent de ses aphorismes mais les ont vidés de leur substance : la gastronomie, c’est une combinaison raisonnable de chimie, de physique, d’agriculture, de géométrie, de biologie et de génétique... ainsi que d’histoire, d’anthropologie culturelle, d’économie, d’économie politique – et s’il était encore là aujourd’hui, Brillat-Savarin parlerait sans aucun doute d’écologie ! Cessons de nous laisser aller à la pornographie alimentaire et libérons la gastronomie pour qu’elle retrouve ses dimensions de responsabilité sociale et civile, de respect pour la nature et de conscience géopolitique...

Qu’est-ce qui explique la distance prise avec le temps entre la fourche et la fourchette ?

Deux choses sont entrées dans notre vie quotidienne : l’agro-industrie d’une part, et la distribution centralisée de l’autre. Ces deux puissances savent mobiliser de l’argent, user de la publicité et « déséduquer » le grand public.

Par conséquent, nous ne connaissons plus le travail des champs, nous ne connaissons plus la composition des aliments : la production industrielle conditionne les saveurs et la couleur des aliments avec des matières chimiques. Ils plaident la conservation des aliments pour en modifier la qualité et la substance... tout en posant des problèmes de santé, d’intolérances alimentaires, etc.

Quelles solutions préconisez-vous pour sortir de ce modèle ?

Il nous faut retourner à une agriculture familiale, de petite dimension, qui soit en mesure de développer l’économie locale. En favorisant une production et une distribution locales, on crée une nouvelle alliance entre le producteur et les citoyens. Ceux-ci ne sont alors plus de simples consommateurs, mais de véritables coproducteurs qui assument leur part culturelle et politique dans la société. Une telle logique nous permettra aussi d’accompagner un renouveau de la démocratie participative, laquelle ne peut être réalisée qu’avec une économie locale : un peuple qui ne sait pas ce qu’il mange n’est pas un peuple libre.

Que répondez-vous à ceux qui arguent que l’agriculture biologique n’est pas productive et ne permet pas de nourrir le monde ?

Que faire d’une économie plus productive si le paysan gagne moins ? Si le sol est abîmé par l’usage d’intrants chimiques, par le stress hydrique... On peut toujours parler d’une meilleure productivité, mais cela dissimule nombre d’externalités négatives et de conséquences, à long terme, sur notre santé.

Les nouveaux modèles qui se développent aujourd’hui permettent de promouvoir une économie qui travaille pour la communauté, et non pour les multinationales. Les AMAP, La Ruche qui dit oui, les Drive Fermier et les solutions qui favorisent la distribution en circuit court donnent aux producteurs une plus grande autonomie… C’est un changement radical, nous devons décoloniser la pensée, la délivrer de l’enfermement productiviste : les produits que nous défendons avec Slow Food font partie du patrimoine culturel de la nation, ce sont de véritables œuvres d’art qu’il nous faut défendre et préserver aujourd’hui ! 

 

Propos recueillis par ANNE-SOPHIE NOVEL

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