" Nous partons à pied. Nous sommes cinq, puis bientôt quinze car dix Kurdes nous ont rejoints. Nous ne connaissons même pas la route. On marche vers une zone commerciale où Akim va acheter les tenailles, puis nous suivons des panneaux routiers vers le tunnel. Les chaussures emplies de neige fondue, les pieds glacés, nous nous rapprochons du site d’Eurotunnel à travers les collines. Aujourd’hui, quand je repasse par là en voiture, je reconnais les lieux et repense à notre aveuglement obstiné. D’autres pauvres types croisés en chemin ont encore rejoint notre groupe. Akim continue à guider la troupe. Il ne s’agit pourtant pas d’un passeur ou d’un trafiquant, simplement il a décidé de mener l’aventure collective. 

Je me mets à penser intensément à l’Angleterre. Je me dis : « Si tu parviens aujourd’hui à rejoindre les Anglais, le soulagement sera tel que tu seras guéri de tout, tu n’auras plus froid, plus de souffrance. » J’ai, à cette époque-là, une telle admiration pour ce peuple anglais qui a véritablement conquis le monde entier ! D’un certain point de vue, ces conquêtes militaires, cet empire colonial prêtent à la critique, mais ce que je vois alors, c’est que cela témoigne d’une force de caractère incroyable. Voilà le monde que je désire rejoindre, un monde que j’imagine courageux et entreprenant. 

Il y a des caméras partout, des rondes permanentes de vigiles accompagnés de chiens. Nous avons quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent d’être capturés, mais pour une raison que j’ignore – une panne peut-être due à la tempête de neige -, il n’y a pas d’éclairage, ce qui peut nous faciliter la tâche. 

Voilà, on a réussi à rejoindre les grillages sans se faire repérer. Nous parvenons à tailler un petit passage. Aussitôt une alarme puissante se déclenche, suivie d’aboiements de chiens. Nous essayons de courir vers le tunnel, mais un groupe de policiers et de chiens surgit sur notre gauche. Ils sont bientôt une soixantaine à nous cerner. Il ne reste plus qu’à les suivre et à monter dans un fourgon qui nous mène en quelques minutes au centre de rétention de Coquelles, juste à côté. Je suis transi de honte à l’idée de devoir affronter à nouveau les policiers qui m’ont marqué du chiffre douze. Cette fois-là, pour la première fois, je donne un faux nom aux fonctionnaires de Coquelles. "

 

Extrait de De Kaboul à Calais, -l’incroyable périple d’un jeune Afghan © Robert Laffont, 2009

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