C’était en 2010. Je tentais de resserrer des liens très distendus avec un père que je connaissais mal, faute d’avoir grandi près de lui. Maurice Maman, c’était son nom, était un Juif du Maroc, venu vivre en France au début des années 1970. Je me souviens qu’un jour je lui ai demandé ce que signifiait pour lui d’être juif. Sa réponse est restée gravée en moi comme une réalité glaçante. Il lui a suffi de cinq mots pour me plonger dans la perplexité. « Être juif c’est avoir peur », m’a-t-il dit d’un ton à la fois assuré et détaché, comme s’il exprimait une banalité en même temps qu’une fatalité. Souvent je me suis demandé d’où lui venait cette peur qui l’amenait, au Maroc, à ne jamais se séparer de son passeport, au cas où il aurait dû s’enfuir sur le champ. J’ai pensé que la peur était une mémoire, et je suis parti dans sa ville natale de Fès pour tenter de remonter le fil. Là, on m’a raconté l’histoire du Tritel, ce massacre des Juifs du Mellah qui fit de nombreuses victimes au printemps 1912, avant que le sultan du Maroc, un peu tard, n’accorde sa protection aux survivants. Ces derniers, hommes, femmes et enfants, furent installés dans les cages vides de sa ménagerie, non loin des fauves que leur présence excitait. Protéger les Juifs en les enfermant, le symbole parlait de lui-même. -Maurice Maman le Fassi n’évoqua jamais devant moi le pogrom de 1912. Il passa seulement sa vie à avoir peur parce qu’il était juif, en me recommandant surtout de rester silencieux sur mes origines. 

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