Krach à répétition des Bourses de -Shanghai et Shenzhen. Pollution chaque jour plus intense. Explosion meurtrière dans le grand port de Tianjin. Dévaluation surprise du yuan. Ralentissement économique… Il n’en fallait pas plus pour que médias et analystes occidentaux annoncent la fin du modèle chinois. Avec une croissance qu’ils estiment bien inférieure aux chiffres officiels (6,8 %), certains n’hésitent pas à pronostiquer une révolte des classes moyennes, voire une crise de régime.

Les difficultés de l’économie chinoise, bien réelles, n’en étaient pas moins prévisibles. 

Elles sont la conséquence des succès, peut-être trop rapides, de ces trente dernières années. Hier « usine du monde », la Chine veut devenir « le laboratoire du monde ». Hier boostée par les exportations et les investissements massifs dans les infrastructures et l’immobilier, l’économie a du mal à trouver un relais de croissance grâce à la consommation intérieure. On ne transforme pas aisément une économie administrée, avec des groupes étatiques tout-puissants, en économie de marché régulée dont l’initiative privée serait le moteur. 

Pendant des années, l’économie chinoise ainsi que ses classes moyennes ont également prospéré sur l’argent de la corruption. Phénomène qui suscitait une profonde hostilité dans les classes populaires, mais aussi au sein d’une classe moyenne devenue schizophrénique. Si beaucoup de membres du Parti (ils sont 88 millions), de fonctionnaires, de cadres avaient leurs petites combines pour arrondir leurs fins de mois, chacun jugeait l’enrichissement du voisin, et surtout celui des « fils de prince », inacceptable. D’autant que la corruption se traduisait dans la vie quotidienne : pollution aggravée par le non-respect des lois, innombrables accidents du travail, malfaçons, produits frelatés qui empoisonnent les enfants, cette denrée rare en Chine… 

La lutte contre la corruption et la pollution est au centre du programme de Xi Jinping lorsqu’il arrive à la présidence en 2013. Il en profite pour éliminer ses concurrents, mais en frappant très haut et très fort, il montre à l’ensemble de la population que les « tigres » ne sont pas épargnés. Ce faisant, il a inquiété la classe moyenne. Lorsque l’ancien chef de la sécurité et sa famille se retrouvent en prison, elle applaudit. Mais quand ses amis sont touchés, elle prend peur et se demande si elle ne sera pas la prochaine cible. Du coup, elle fait fuir ses capitaux, ou ne les rapatrie pas, et rechigne à investir dans l’économie. Certains, qui ne pouvaient plus spéculer sur l’immobilier se sont rabattus sur la Bourse, la faisant monter de 140 % en moins d’un an. Une spéculation alimentée pour l’essentiel par les 90 millions de petits boursicoteurs chinois qui ont souvent acheté les actions à crédit, mais aussi par des fonds spéculatifs étrangers. Or, les marchés financiers chinois n’en sont qu’aux balbutiements de la régulation. Leurs boursicoteurs n’avaient pas compris qu’on ne gagnait pas à tous les coups. Les autorités de tutelle avaient sous-estimé les manipulations venues de l’extérieur. 

Enfin, la dévaluation surprise du yuan a pris de court les investisseurs locaux comme internationaux. Jusqu’alors, la Banque de Chine avait indexé de facto sa monnaie sur un panier de monnaies où le dollar prédominait. Or, en août, elle a changé ses règles et multiplié les micro-dévaluations entraînant une baisse du yuan de 6 % par rapport au dollar. Une politique monétaire qui s’est traduite par une crise de confiance des investisseurs, tant chinois qu’étrangers. Tous se demandant s’il est bien raisonnable de placer ses fonds en yuan. 

C’est là le principal défi pour Xi Jinping. Si l’économie chinoise veut trouver un second souffle, il lui faut aussi stopper l’hémorragie massive de capitaux. En un an, plus de 1 000 milliards de dollars sont partis dont 150 milliards pour le seul mois de décembre. Résultat : les réserves de la Banque de Chine ont fondu revenant à 3 200 milliards de dollars. Le retour de la confiance passera vraisemblablement par une discrète mise en sourdine de la lutte contre la corruption. Sans doute en 2017, à la veille du renouvel-lement du comité permanent du Bureau politique.

Xi Jinping est aujourd’hui le dirigeant chinois qui concentre le plus de pouvoir entre ses mains depuis Deng Xiaoping. Il contrôle l’armée et les opposants au sein du Parti se font discrets. Mais son principal challenge va être de procéder, comme ce fut déjà le cas dans l’histoire de la Chine, à une action dans la plus pure tradition du yin et du yang : la recentralisation pour mieux décentraliser ensuite. 

Les régions ont joué un rôle essentiel dans le dévelop-pement de l’économie chinoise. Le centre, Pékin, donnait les grandes lignes, mais sur le terrain, les dirigeants locaux étaient tout-puissants. D’où le surinvestissement dans les infrastructures, les usines, les logements. Avec des lois et des normes différentes, et la corruption omni-présente. Avec un danger qui tracasse toujours l’inconscient chinois : le retour à l’époque des seigneurs de la guerre. 

Xi Jinping veut donc recentraliser, pour mener une nouvelle politique d’aménagement du territoire, développer les régions pauvres du centre et de l’Ouest de la Chine, en y délocalisant les usines manufacturières de la zone côtière. Les régions riches étant incitées à investir dans l’innovation, les laboratoires, les nouvelles technologies, le numérique, les services. Une recentralisation destinée également à établir des normes, des lois, identiques sur tout le territoire.

Pas question, contrairement à ce que certains en Occident voudraient croire, de revenir à un régime communiste pur et dur. L’économie de marché est plus que jamais à l’ordre du jour. Mais les dirigeants chinois veulent qu’elle soit régulée et épouse les caractéristiques propres au pays. 

En matière monétaire, la récente dévaluation du yuan ne serait pas tant justifiée par une perte de compétitivité que comme un signal aux Américains : « Vous ne nous ferez pas le coup que vous avez fait au Japon dans les années quatre-vingt en les obligeant à réévaluer le yen. » 

En dévaluant légèrement et en laissant entendre que le yuan pourrait flotter, la Banque de Chine aurait ainsi pris les devants. 

Le treizième plan quinquennal (2016-2020) a défini les secteurs prioritaires d’investissement, pour le marché intérieur comme pour le marché mondial. Équipements électriques et électroniques, moyens de transport (autos, avions, bateaux), production d’électricité, bio-pharmacie, Internet… Avec, à chaque fois, la mise en concurrence des entreprises étrangères et locales, mais aussi entre entreprises chinoises. Le cas d’Alibaba, gigantesque super-marché en ligne, est ainsi symbolique. D’abord, parce que c’est aujourd’hui le seul concurrent mondial -d’Amazon, et qu’il s’implante dans le monde entier. Ensuite, parce qu’Alibaba est aussi une banque qui finance les achats de ses clients. Enfin, parce que le gouvernement chinois, craignant qu’Alibaba ne devienne trop puissant, favorise l’émergence d’un concurrent, Jindong, sur des créneaux différents (clientèle de jeunes et authenticité des produits). 

L’e-commerce et le numérique se développent très rapidement en Chine et représentent déjà une part non négligeable du PIB… qui n’est pas encore prise en compte dans les statistiques officielles. La croissance chinoise n’est pas aussi forte que Pékin l’annonce, mais elle n’est pas aussi poussive qu’on voudrait le croire en Occident. 

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