Dans la mer Méditerranée
berceau de notre culture
des élections libres eurent lieu
entre Charybde et Scylla
 
Bien que le bruit courût
que ces deux-là étaient de mèche
la plupart des électeurs votèrent
soit pour l’un
soit pour l’autre
 
Chose curieuse
aucun d’entre eux ne resta
en vie
sauf Ulysse
qui récusa l’élection

Traduit de l’allemand
par Dagmar et Georges Daillant.

Extrait de Cent poèmes sans frontière, Christian Bourgois Éditeur, 1978.

Pour déjouer les discours ­officiels, Erich Fried joue avec les mots. Répétitions, doubles sens, paradoxes, comptines et paraboles : autant de moyens rhétoriques qui nous appren­nent à douter. Le poète et romancier (1921-1988) naît à Vienne dans une famille juive. Après que son père meurt des suites d’un interrogatoire par la Gestapo, il quitte l’Autriche en 1938. Écrivain sans frontière, il reste en Angleterre après la guerre, traduit entre autres ­Dylan ­Thomas, T.S. Eliot, ­Shakespeare. Au service allemand de la BBC, il soutient les dissidents communistes et la politique de détente de Kennedy. Mais la guerre du Vietnam remet en cause sa vision positive des États-Unis. Sous l’influence des mouvements étudiants, il radicalise ses critiques de l’impérialisme occidental. L’anthologie Cent poèmes sans frontière témoi­gne de sa lutte contre toutes les aliénations. Car Erich Fried y dévoile les contradictions de ses camarades communistes comme les errements de démo­craties refoulant les erreurs passées. Une leçon d’humanisme à l’humour ravageur, au risque de l’utopisme. Ainsi de cet ­ironique « libre choix » donné aux électeurs entre deux maux : les deux monstres de la mythologie grecque, ­Charybde et Scylla. Et voici qu’Erich Fried, rusé comme Ulysse, ­appelle à une résistance civique. De courts vers iconoclastes pour dénoncer une démocratie fourvoyée que le peuple ne ­dirigerait plus. « Mais qui donc / gouverne pour de bon ? » 

À lire du même auteur Le Soldat et la Fille dans la collection « L’étrangère » chez Gallimard.

 

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