C’est chose largement connue : la durée de la vie s’allonge – du moins en Occident. D’après l’Insee, les femmes et les hommes ont gagné respectivement 3,6 et 5,4 années d’espérance de vie supplémentaires entre 1995 et 2014. Une fille qui naît aujourd’hui vivra en moyenne 85,5 ans et un garçon 79,3 ans.

Largement partagé, ce constat est devenu un argument incontournable pour justifier diverses réformes sociales : le recul de l’âge de la retraite, la nécessité de développer les services à la personne, de résoudre les déséquilibres présents et à venir de la Sécurité sociale… Ce phénomène est aussi fréquemment mis en exergue pour illustrer les progrès inexorables de la science et de la médecine.

On sait en revanche moins que le bilan s’assombrit nettement lorsque l’on considère l’espérance de vie en bonne santé. Ne se contentant pas de ce constat d’un allongement de la vie, démographes et épidémiologistes scrutent depuis au moins deux décennies l’évolution du nombre d’années vécues sans limitation d’activité (se déplacer, se vêtir) ou sans incapacité majeure. Leurs travaux montrent qu’en France, comme dans les autres pays occidentaux, le nombre d’années vécues en bonne santé a certes progressé, mais moins vite que la durée de vie totale. En d’autres termes, les années de vie gagnées sont plus souvent affectées par des problèmes de santé. Ainsi, alors qu’une femme passait en moyenne 76,2 % de sa vie en bonne santé en 1995, cette proportion tombe à 75,1 % en 2012. Caractérisés par une durée de vie plus courte, mais proportionnellement en meilleure santé, les hommes connaissent une évolution semblable : de 81,2 % en 1995, la part des années vécues sans limitation passe à 79,7 % en 2012.

Progrès ambigu donc, qui étend la durée de nos existences, pour mieux nous confronter à la maladie, aux incapacités et à la dépendance. Tout en nous enjoignant de consacrer une plus grande part des meilleures années de nos vies à en entretenir le crépuscule. 

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