Selon l’ONU, plus de 6 millions de Syriens sur une population de 21,9 millions d’habitants
sont déplacés à l’intérieur du pays en raison de la guerre civile.
Par ailleurs, 2,2 millions de réfugiés syriens ont été enregistrés aux frontières
du Liban, de la Jordanie, de la Turquie, de l’Irak et de l’Égypte.

1 - Les Printemps arabes 
ont entraîné des crises migratoires complexes

Les Printemps arabes se sont greffés sur des situations d’asile et d’exil préexistantes (populations palestinienne, irakienne notamment) et ont un impact sur les situations migratoires des pays en « révolution ». En Syrie, le conflit actuel engendre des déplacements internes alors que ce pays accueillait déjà de fortes populations de réfugiés irakiens.

Les mouvements d’exil en Syrie, comme au Yémen et en Libye, mélangent des réfugiés quittant des zones de conflits dans leur propre pays et les ressortissants de pays tiers incités brutalement au départ par la violence, l’insécurité politique et économique. Ainsi les migrants et les réfugiés résidents dans un pays qui entre en « révolution » sont aussi victimes de déplacements en chaîne (Palestiniens ou Irakiens essentiellement, mais aussi Éthiopiens ou Érythréens en Égypte et les Subsahariens en Libye par exemple).

Au Yémen, deux guerres civiles au nord et au sud, antérieures à l’insurrection de 2011, ont ajouté leurs déplacés aux victimes des violences qui ont accompagné la transition politique (entre 310 000 et 545 318 personnes selon les sources) et aux réfugiés somaliens, éthiopiens et érythréens qui arrivent quotidien-nement à travers le golfe d’Aden depuis la corne de l’Afrique.

En Libye, la guerre civile à l’est du pays et l’intervention de forces armées étrangères aux côtés des insurgés ont généré le déplacement de près de 700 000 migrants, selon l’Organisation internationale des migrations, vers la Tunisie et l’Égypte, le Nigeria et le Niger.

Le cas des réfugiés palestiniens est emblématique : ils ont non seulement fui les Territoires palestiniens et Israël à l’occasion des conflits israélo-arabes, mais ont aussi été déplacés au rythme des autres crises politiques et conflits de la région (guerre en Irak, Printemps arabes). Ne pouvant être rapatriés, ils constituent les populations les plus difficiles à réinstaller, et sont souvent confinés dans des camps à la frontière des pays qu’ils quittent. En Syrie, sur les 540 000 réfugiés palestiniens que comptait le pays, dont près de 100 000 dans la ville-camp de Yarmouk, à côté de Damas, 270 000 seraient déplacés à l’intérieur du pays.

Au-delà de flux ponctuels, on constate que les déplacements de populations liés aux Printemps arabes répondent à des « logiques » extrêmement complexes et que les situations créées par les révolutions risquent de perdurer.

2 - Les exilés sont confinés
dans les pays pauvres

Qu’il s’agisse des Palestiniens, des Irakiens ou des Syriens, les réfugiés du Moyen-Orient dans leur immense majorité restent dans la région… La plupart des exilés syriens ont fui dans les pays immédiatement voisins de la Syrie. Le gros des personnes « déplacées » par la violence (6,5 millions) n’a en réalité même pas pu ou voulu franchir les frontières du pays et sont des IDPs (« internally displaced persons » selon le terme de l’ONU).

Les régions les plus affectées par l’exil et les déplacements internes sont celles de Damas et d’Alep, l’enjeu stratégique du contrôle des villes créant une violence accrue entre les armées d’opposition. L’armée syrienne et les milices kurdes sont massées le long de la frontière nord, tandis que l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et les autres groupes islamistes sont plutôt dans l’est du pays. Les Syriens ont la plupart du temps trouvé refuge dans les villes jordaniennes, libanaises, turques ou au Caire, bien plus que dans les camps créés par les organisations internationales et les pays d’accueil pour les héberger. À l’intérieur du pays, les camps de déplacés n’abritent que 20 % des déplacés de la région même si leur nombre a doublé.
Entre déplacés de l’intérieur et réfugiés dans des pays immédiatement voisins, les Syriens incarnent à merveille la consternante géographie de l’exil à travers le monde. C’est en effet à proximité de leur lieu d’origine que sont localisés les exilés dans leur immense majorité. Les cinq premiers pays d’accueil des réfugiés sont, en 2013, le Pakistan, l’Iran, la Jordanie, le -Liban et le Kenya qui reçoivent chacun des centaines de milliers de réfugiés, parfois depuis des décennies.

Au plan mondial, 2013 a vu une explosion du nombre de déplacés à l’intérieur des frontières de leur pays : 33,3 millions de personnes. 63 % d’entre elles proviennent de cinq pays : la Syrie, la Colombie, le Nigeria, la République démocratique du Congo et le Soudan.

Si le nombre de déplacés internes augmente, on ne peut s’empêcher d’y voir un aboutissement de la logique de confinement des exilés dans leur région d’origine. Une logique dont les gestionnaires de l’exil n’ont pas toujours conscience, mais qui est largement liée à la très faible volonté d’accueil des pays développés ou émergents. 

3 - Une crise humanitaire durable sévit aux portes de l’Europe

Face à la crise Syrienne, l’Union européenne (UE) s’est montrée généreuse financièrement, frileuse politiquement et très parcimonieuse dans l’octroi de l’asile aux victimes des crises migratoires liées aux Printemps arabes. Avec un budget global annoncé de 2,8 milliards d’euros, l’UE est le premier donateur international d’aide humanitaire pour la Syrie et les pays d’accueil des réfugiés syriens.

D’après EUROSTAT, on comptait quelque 50 470 demandeurs d’asile syriens dans les pays de l’UE en 2013. Sur 36 000 déci-sions d’asile prises en première instance, 33 000 étaient positives dans l’Europe des 28. L’an passé, quelque 500 Syriens ont obtenu le droit d’asile par protection subsidiaire en France (-EUROSTAT). La Suède et l’Allemagne sont les pays qui attirent le plus les réfugiés. 

Les chiffres des demandes d’asile ont augmenté de 32 % dans les 28 pays de l’UE en 2013 et de 49 % dans le Sud de l’Europe, incluant la Turquie. Dans les pays industrialisés, les principaux pays d’asile sont l’Allemagne, les États-Unis, la France, la Suède, la Turquie, le Royaume-Uni.

La crise de l’exil engendrée par la guerre civile en Syrie n’est pas la première à parvenir aux rivages et aux frontières de l’Europe : rappelons la guerre civile qui a dévasté le Liban de 1975 à 1989, les conflits dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990, la guerre civile en Algérie au début de la même décennie et, dans une moindre mesure, les guerres successives qui ont affecté l’Irak à partir de 1980 et jusqu’à l’invasion de 2003.

Alors que, dans les années 1990, de nombreux résidents des pays du sud de la Méditerranée ont pu trouver refuge en Europe soit comme réfugiés à proprement parler, soit comme migrants, pour des périodes plus ou moins longues, les années 2000 ont vu une diminution drastique du nombre de demandeurs d’asile et de migrants accueillis en Europe. Les raisons de cette hostilité nouvelle à l’accueil des réfugiés en provenance du sud de la Méditerranée, quel que soit leur statut, sont à la fois économiques et politiques. La récession et les politiques de limitation des flux entrants sous l’influence d’opinions publiques de plus en plus hostiles à l’immigration, voire xénophobes, peuvent expliquer cette tendance. Les migrations en provenance des pays arabes ont aussi été perçues à travers le prisme des préoccupations sécuritaires liées au terrorisme.

Révolutions, migrations, exils… La crise syrienne nous donne des leçons de géographie, d’histoire et de politique. Elle nous invite à ne pas oublier que le coût humain mais aussi économique et politique des « Printemps arabes » est payé au prix fort par toute une région.

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