Peyrelevade (Corrèze). « Il n’y a que des arbres ! » s’est exclamé un migrant en arrivant pour la première fois à Peyrelevade. Depuis l’autorail entre Limoges et Meymac (la gare la plus proche située à 23 km), le voyageur peut apprécier la nature opulente du plateau de Millevaches, les ruisseaux dans les replis des vallons, et aussi l’isolement du site. Dans la commune de 800 habitants, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), géré par l’association Forum Réfugiés, a ouvert au mois d’avril. Kosovars, Ukrainiens, Congolais, Soudanais… ils sont maintenant soixante à vivre dans l’ancienne maison de retraite située sur les hauteurs du bourg. 

Le bâtiment comprend vingt-six appartements équipés de douche et toilettes. Sur chaque niveau, une cuisine et une buanderie sont mises à disposition des résidents. Tour du propriétaire avec Marie Mazaud, chef de service du CADA. Cette femme d’origine camerounaise, installée depuis vingt-cinq ans dans la région, gère la maison de main de maître. Pendant la visite, elle est sollicitée à tous les étages. Des enfants se précipitent pour lui offrir des dessins, des familles signalent une coupure d’eau chaude, une femme réclame une autorisation pour un déplacement à Limoges quand d’autres s’enquièrent de leur courrier. Elle répond aux demandes, inspecte la propreté des lieux, n’hésite pas à rap­peler à l’ordre les négligents. 

Pierre Coutaud, le maire de Peyrelevade, a porté le projet d’implantation du CADA. « Le village avait déjà accueilli des réfugiés kurdes dans les années 1990. Cette expérience positive nous a encouragés », souligne-t-il. L’une des vertus du CADA : dynamiser la vie locale. À l’école, une classe menacée de fermeture a pu être maintenue. La pharmacie et la poste connaissent un regain d’activité. Sans compter la création d’emplois : cinq travailleurs sociaux et un stagiaire ont été recrutés par Forum Réfugiés. 

L’arrivée de populations étrangères pourrait-elle revitaliser des régions agricoles en voie de désertification ? Des expériences concluantes semblent accréditer cette hypothèse comme à Chambon-le-Château, en Lozère, où un CADA fonctionne sans heurts depuis 2003. Condition sine qua non : il faut s’assurer que le village dispose des équipements nécessaires (en particulier d’une école) et que les mentalités sont bien préparées. Le maire de Peyrelevade a organisé plusieurs réunions préalables pour informer et rassurer la population sur la nature du projet.

Pour les migrants, évoluer dans un cadre rural présente certains avantages : la sérénité, la sécurité, la qualité de vie, notamment pour les familles avec des enfants en bas âge. Le CADA dispose d’une voiture pour conduire les résidents à la préfecture, aux rendez-vous médicaux. Et les citoyens investis dans l’association Les Amis du CADA font du covoiturage. Sa présidente, Michèle Brette, dite Milou, s’enthousiasme de cette nouvelle diversité culturelle. « Les migrants s’intègrent dans la vie locale. Certains se sont inscrits au club de foot, d’autres au comité des fêtes. Pour le 15 août, ils ont confectionné leur propre char. Ici, ils sont moins isolés que dans une grande ville où règne l’anonymat. » 

Daina* a fui le Congo avec son fils handicapé de 6 ans. « Quand je suis arrivée, j’avais peur. Je ne parlais pas, confie-t-elle. Aujourd’hui, je participe aux activités du village. Je fais partie du comité des fêtes, je donne des idées. » Un certain nombre d’habitants s’est mobilisé. Le CADA enregistre des dons : vaisselle, vêtements, jeux pour enfants… Une aide précieuse pour ces migrants qui vivent avec une allocation de 6,14 euros par jour. 

Malgré toutes les bonnes volontés, les journées sont parfois longues. Igor*, décorateur de cinéma, et son fils Sasha* qui travaillait dans le Web ont quitté l’Ukraine. Ils se promènent, ils pêchent, ils attendent le traitement de leur demande. Une période qui peut durer jusqu’à 18 mois durant laquelle ils ont interdiction de travailler. Une fois le verdict prononcé, qu’il soit accepté ou débouté, le migrant doit quitter le centre. Pour Sasha, « le plus dur est l’inaction professionnelle ». Sami*, venu de Guinée, nous dit ne pas sortir, hormis au bar-tabac. « J’apprécie la vie à la campagne mais je ne cherche pas à créer des liens avec les habitants. Je ne veux pas déranger. » 

Et pour cause, l’accueil est contrasté. À côté des enthousiastes, il y a ceux qui ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de ces étrangers. Florilège glané dans les rues du village : « Les propriétaires de maisons secondaires voient des étrangers en ville toute l’année. Ce n’est pas pour en retrouver quand ils vont à la campagne. » ; « Des parents vont retirer leurs enfants de l’école. Les enfants de migrants vont faire baisser le niveau. » Des commerçants soulignent que l’installation du CADA n’a rien changé pour leurs affaires. Ils sont concurrencés par l’épicerie sociale, bien moins chère. 

Au contraire, le bar-tabac a le vent en poupe. Les migrants s’y attablent quotidiennement, devisent avec les habitués et profitent du Wi-Fi gratuit. Marie Mazaud a déjà réprimandé un mari qui passait trop de temps au bar, laissant sa femme s’occuper seule de leurs enfants. C’est aussi elle qui fait respecter la loi et les coutumes françaises. Elle insiste sur ce point. « Je leur fais comprendre qu’ils ont des droits et des devoirs. S’ils veulent rester en France, ils doivent s’adapter aux valeurs laïques. Une femme musulmane qui sortait couverte jusqu’au cou porte maintenant du rouge à lèvres ! » 

* Les prénoms ont été changés.

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