De nouvelles valeurs plébiscitées des parents comme des professionnels sont apparues dans le paysage éducatif : le dialogue, l’autonomie et la confiance. Si elles traduisent la reconsidération de l’enfant, elles transforment aussi les relations entre les générations, en particulier les relations d’éducation et d’autorité. Comment alors les parents, tiraillés entre les idéaux démocratiques et la composante contraignante irréductible de l’acte éducatif, appréhendent-ils la question délicate de l’autorité ? Quelle forme prend-elle au quotidien ? Vécu familial et façon de se mettre en règle à l’école sont-ils liés ? 

Ces interrogations joignent autorité et règles, car nous définissons l’autorité comme le fait de représenter, d’incarner pour l’enfant, le monde qui lui préexiste. Elle a, en ce sens, partie liée avec l’activité de poser des règles. Mais la question des règles est devenue problématique comme en témoignent ces interventions de parents lors de manifestations sur l’éducation : « On a eu les générations où l’enfant était oublié, on a parlé des enfants rois, on nous a culpabilisés mais maintenant on fait quoi ? » (forum de la parentalité de la communauté d’agglomération du bassin d’Arcachon sud [COBAS], 05/10/12, La Teste-de-Buch) ; « Si on fait comme avant, l’autorité on sait ce que ça a donné, si on laisse passer ça ne va pas non plus, alors qu’est-ce qu’on fait ? » (conférence du pédiatre Aldo Naouri, 01/10/12, Le Bouscat).

Les parents ne peuvent plus utiliser comme repères les anciens modes d’éducation et doivent trouver de nouvelles façons de faire. Pour comprendre comment ils le font, trois types d’usage de la règle peuvent être pensés : 1) l’enfant ne doit pas déroger à la règle, 2) elle peut être négociée en fonction des situations, et 3) l’enfant est parfois autorisé à faire quelque chose et parfois non.

En 2014, nous avons réalisé une enquête par questionnaire dans la région de Bordeaux auprès de familles au recrutement social varié ayant un enfant en sixième ou cinquième. Les analyses statistiques des 993 retours de questionnaire ont permis de révéler trois profils parentaux :

– les hédonistes perplexes : ils laissent à la charge de l’enfant les situations qui ont trait à ses plaisirs supposés (alimentation, limitations horaires, jeux vidéo, achats de vêtements, bavardage scolaire) et encadrent de façon stricte celles potentiellement « à risque » (­travail scolaire, hygiène, risque d’accident domestique, conflits). Leur enfant est surtout une fille, enfant unique. Ils ne punissent pas ;

– les cadres souples : ils peuvent négocier dans la plupart des situations, mais cadrent les horaires, les jeux vidéo, et la tenue vestimentaire. Leur enfant est surtout une fille issue d’une fratrie. Ils punissent peu ;

– les contingents : leurs pratiques varient sur le quotidien (scolaire, hygiène, rangement, conflits), ils négocient sur les horaires et le corps (tenue, risque d’accident domestique), mais pas sur l’alimentation. Leur enfant est surtout un garçon qu’ils punissent longtemps. 

Ces profils d’apprentissage de la règle en famille ont-ils une influence sur l’attitude adoptée par l’élève au collège ? 

Nous avons observé le rapport à la règle scolaire à travers les sanctions scolaires et les remarques sur le comportement dans les bulletins de notes. Les analyses montrent que la façon de se comporter des élèves varie en fonction de trois facteurs : leur niveau scolaire, leur sexe et leur environnement familial. Il semble que plus le jeu scolaire réussit aux élèves (en termes de niveau), plus ceux-ci « jouent le jeu » de la discipline, et inversement. Quand on descend l’échelle sociale, l’influence du sexe disparaît derrière l’influence du profil parental. Ainsi, plus on s’éloigne d’un environnement familial favorisé où ce sont les garçons qui sont déviants (notons qu’au regard des profils parentaux, les filles sont statistiquement davantage encadrées que les garçons), plus la question du rapport à la règle scolaire s’ajuste sur les habitudes familiales avec, pour les enfants issus de milieux défavorisés culturellement et économiquement, une liaison entre :

– le profil hédoniste perplexe et l’absence de sanction et de remarque ;

– le profil cadre souple et un jeu avec les règles scolaires (remarques sur le comportement mais pas de sanction) ;

– le profil contingent et la présence de sanctions.

Attention, ces résultats ne doivent pas être interprétés de façon lapidaire dans une formule du type « c’est la faute des parents si les enfants se comportent mal », mais révèlent bien davantage que la déviance n’est pas toujours intentionnelle et qu’elle repose sur un ensemble de régularités socialement construites (éducation familiale, socialisation de genre) qui donnent un sens particulier aux règles scolaires. Ils invitent les éducateurs à penser que le sens des règles réside dans l’usage qu’ils en font, dans leurs actes. Ils révèlent enfin que, sur la question de l’autorité, le dialogue entre la famille et l’école est impératif puisque des ajustements se font déjà et que c’est par une position commune face à l’enfant que parents et enseignants auront davantage de chances de faire autorité. 

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