Loin de la figure contemporaine du parent stratège, les familles ont d’abord été perçues comme des serviteurs du projet scolaire de l’État. Ainsi, longtemps en France, les parents ont été tenus à l’écart du système scolaire, principalement en raison du projet laïque et d’un modèle politico­administratif fondé sur la centralisation (et qui se traduit par une absence quasi totale des usagers dans l’élaboration et l’application des politiques éducatives). Paradoxalement, c’est au moment où les familles semblent durablement écartées des affaires scolaires que l’on va assister à la naissance des premières associations de parents d’élèves à partir de 1910 [voir ci-contre l’article de Claude Lelièvre].

Il faudra attendre 1968 et la loi Edgar Faure pour que les parents entrent officiellement dans les conseils des établissements secondaires, puis, en 1977, dans ceux des écoles primaires.

Changement significatif en 1975, la loi René Haby reconnaît enfin que « l’éducation est d’abord du ressort de la responsabilité des familles » et que les « parents sont des interlocuteurs privilégiés ». Plus globalement, la mise en place en 1981 des zones d’éducation prioritaire (ZEP) va contribuer à officialiser la participation institutionnelle des parents en faisant d’eux des partenaires de l’école. Pourtant, malgré ces évolutions positives, les tensions entre les parents d’élèves et le système éducatif vont se renforcer dans un contexte d’apparition du chômage de masse et d’augmentation de la concurrence scolaire. Pleins de désillusions à l’égard de la méritocratie et déçus par des instances de représentation où ils n’occupent qu’un rôle consultatif, les parents vont dès lors renforcer leurs stratégies individuelles à un moment où l’on peut observer un certain recul du militantisme. En l’absence de réelle participation et à défaut de pouvoir peser en tant qu’acteur collectif sur les politiques éducatives, ils vont défendre peu à peu leurs intérêts individuels en faisant pression localement sur les établissements scolaires, au point d’être souvent considérés comme des « consommateurs d’écoles ». Ainsi, en dépit du recours récurrent et incantatoire au thème du partenariat entre les familles et l’école, en particulier dans la loi d’orientation de 1989, c’est bien la figure du « parent stratège » et son pendant négatif, le « parent démissionnaire », qui vont s’imposer progressivement dans le contexte libéral des années 1980.

Tandis que les défenseurs de la laïcité ont longtemps espéré qu’un changement de majorité permettrait de faire triompher l’école publique, c’est l’inverse qui se produit au moment où de nombreux parents décident de faire valoir leurs droits individuels et la liberté de l’enseignement. Le retrait du projet de loi Savary et les manifestations en faveur de l’enseignement privé en juin 1984 marquent une défaite des organisations laïques. Cette dernière, comme l’a souligné l’historien Antoine Prost, traduit une inflexion significative des attentes des parents d’élèves dans la mesure où les organisations laïques et les partis politiques avaient sous-estimé l’ampleur des changements dans l’opinion publique. Dans un contexte d’assouplis­sement de la carte scolaire, les parents apparaissent de moins en moins sensibles aux grands débats idéologiques et privilégient des modes d’action pragmatiques leur permettant d’échapper au centralisme des principales fédérations et de répondre à l’intensification de la compétition scolaire, marquée entre autres par la diffusion des palmarès d’établissements. Ainsi assiste-t-on au développement de stratégies éducatives de plus en plus sophistiquées afin d’optimiser la « carrière scolaire » de l’enfant. L’impact de ces changements se traduit également par une augmentation sensible des groupements « autonomes » et « apolitiques ». On observe que ces associations, qui agissent souvent comme des groupes de pression au niveau local, connaissent une hausse régulière de leurs suffrages dans les écoles primaires depuis environ trente ans (25 % en 1978, 42 % en 1988, 58 % en 1998). 

Vous avez aimé ? Partagez-le !