Cette nuit j’ai mal dormi. J’étais à Tanger dans une petite maison donnant sur le détroit de Gibraltar. De la fenêtre je voyais les côtes espagnoles. Des lumières scintillaient comme si elles me lançaient un appel, du genre « Viens, rejoins-nous ! ». Du coup mon sommeil a été agité. Je me voyais en train de mesurer les quatorze kilomètres me séparant de l’Espagne. Je volais au-dessus de cette mer où la Méditerranée et l’Atlantique se rencontrent. J’atterrissais à Almería, là où commence l’Europe. Puis dans mon rêve je revenais vite chez moi. Indésirable. J’eus le temps d’apercevoir une file de camions immatriculés au Maroc qui attendaient au port d’Algésiras. Ils transportaient des agrumes destinés au marché européen. Des tomates et des courgettes, des clémentines et des oranges pourrissaient tranquillement. Les douaniers venaient d’apprendre que le Conseil de l’Union européenne « Agriculture et pêche » avait changé les conditions d’accès des produits marocains sur le marché européen. Changer pour ne pas dire réduire au maximum.

Cette information, je venais de l’entendre à la radio. Elle ne faisait pas partie du rêve. Mais dans mon demi-sommeil tout se mélangeait et l’idée de l’Europe se transforma en une obsession. Pourquoi le Maroc ne fait pas partie de cette Europe si proche, si fascinante, si contradictoire ? Quelqu’un me répondit en polonais : l’Est, c’est l’Europe, le Sud, c’est l’Afrique. En même temps je reçus un coup de pied assez violent, ce qui me réveilla en sueur. J’entendis une voix amie me dire : « Rends-toi à l’évidence, l’Europe n’est pas pour nous, nous sommes juste bons pour l’émigration et encore. »

Je repensais aux agriculteurs, aux paysans qui vont voir revenir leurs produits refoulés. Je pensais aux pêcheurs qui se battent avec des barques ridicules contre des chalutiers très performants venus d’Espagne, de France, des Pays-Bas et d’ailleurs.

Cette Europe qui a préféré s’élargir à l’Est et ignorer le Sud m’a donné la migraine. Là, je ne dormais plus. J’étais debout à faire les cent pas dans la chambre, -regardant les dernières lumières du rivage d’en face s’éteindre comme dans un décor de théâtre où on vous signifie la fin du spectacle.

Assis sur une chaise comme un retraité ne sachant que faire de ses souvenirs, je me mis à penser au Maghreb. Ah, si les cinq pays du Nord de l’Afrique pouvaient s’inspirer de l’idéal européen ! Unir les -e-fforts, créer un grand marché, une monnaie unique, et constituer une force politique capable de parler d’égale à égale avec l’Europe. Devenir une entité crédible et respectée, refuser de céder aux égoïsmes et partager les richesses afin que ces peuples puissent vivre dans la dignité et la prospérité.

Hélas ! Ce ne fut même pas un rêve, mais le début d’un cauchemar : je vis la Lybie où des tribus s’entretuent ; je vis -l’Algérie qui ne sait que faire des milliards du pétrole et du gaz avec un peuple pauvre et frustré ; je vis la Mauritanie empêtrée dans ses problèmes de pauvreté ; je vis le Maroc en train de se battre pour son intégrité territoriale face au voisin algérien qui empêche toute solution politique au conflit du Sahara ; je vis la Tunisie qui se bat aussi pour appliquer sa nouvelle constitution révolutionnaire et qui espère des jours meilleurs.

Alors l’Europe est loin. De ma terrasse, je suivis le ballet magnifique de moineaux libres formant des cercles, des losanges, des figures signifiant l’espoir. 

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