On n’en finirait pas d’évoquer les points de faiblesse, les failles de faillibilité du politique ; j’ai évoqué ailleurs la fragilité du langage politique, contraint, par son appartenance à la rhétorique, à osciller entre l’argumentation rationnelle et le sophisme, qui procède par séduction, ou pire, par intimidation. 

J’en ai assez dit sur les tensions internes qui font que la fragilité de l’action politique confine au tragique, au sens de la tragédie grecque. Ce n’est pas par hasard d’ailleurs que celle-ci se déploie dans le milieu des grandeurs de pouvoir affrontées. Néanmoins, il me semble que j’ai, du même coup, désigné le lieu de la responsabilité, dans la mesure où ce lieu est celui même de la fragilité. Reprenons les choses dans un ordre inverse. Je commencerai dans la responsabilité au niveau du langage ; c’est ici que la responsabilité s’avère être particulièrement celle des intellectuels ; à ceux-ci revient de clarifier les notions confuses de la rhétorique politicienne, de les porter au concept autant qu’il est possible, d’éclairer les enjeux, de montrer les liens entre les choix proprement politiques et les choix requis au niveau de la société civile par le conflit des sphères de justice, la compétition des « cités » et des « mondes » que nos multiples rôles nous font habiter. 

Mais la responsabilité n’est pas seulement celle des intellectuels ; plus importante est la responsabilisation de chaque citoyen. Il faut qu’il sache que la grande cité est fragile, qu’elle repose sur un lien horizontal constitutif du vouloir-­vivre-ensemble ; bref, qu’il attache le salut public à la vitalité de la vie associative, au sein de laquelle se régénère le vouloir-­vivre-ensemble. 

 

Extrait de « Responsabilité et fragilité », conférence donnée à l’Association des étudiants protestants de Paris, rue de Vaugirard, le 24 mars 1992

 

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