Voici du romarin, des graines de pavots,
Du trèfle, un plant de thym et des fleurs de pêcher
Et quelques raisins secs sur les pampres nouveaux.
Chères abeilles, c’est pour vous. Que vos travaux
Se poursuivent en paix sous un limpide ciel,
Que le fermier qui construisit votre rucher
Avec Pan, votre ami, savoure votre miel,
Et lorsqu’il saisira, entouré de fumées,
Vos beaux rayons, que sa main sage, ô bien-aimées,
Vous laisse avant l’hiver, pour prix de tant d’efforts,
Une petite part de vos propres trésors.

 

Anthologie palatine, IX, 226
Extrait de Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre,poèmes traduits du grec
© Éditions Gallimard, 1979

 

En grec, le mot pan signifie « tout ». Mais cette dimension cosmique disparaît souvent dans les évocations littéraires du dieu familier des bergers et des troupeaux. Qu’en était-il pour Zonas de Sardes ? On ne connaît rien de ce poète qui écrivait en grec dans une Asie Mineure sous domination romaine. Lui sont attribués sept ou huit poèmes rassemblés dans une anthologie, La Couronne de Philippe. Ce sont des épigrammes. Le terme, signifiant inscription, en est venu à désigner toute forme brève qui lie la subtilité du propos à l’élégance du style. Zonas y a recours notamment pour des épitaphes et, ci--dessus, une apostrophe pastorale. Pour faire ressentir en français les contraintes du genre, sa traductrice Marguerite Yourcenar choisit des alexandrins rimés. L’équilibre y gagne une tranquille intemporalité, que troublent à peine les surprises d’un enjambement et d’une inversion au cinquième vers. La structure est d’une épure savante, mais les conseils agraires ordinaires. Dans le quatrième livre des Géorgiques, sans doute contemporain, Virgile lui aussi cite le thym et les raisins secs comme des ingrédients indispensables à l’apiculteur. Et l’on sait que le romarin et le trèfle sécrètent un nectar abondant. Comment expliquer alors l’harmonie que dégagent aujourd’hui ces vers rédigés en un temps de bouleversements et de guerres ? Comme si l’alliance industrieuse des hommes et des abeilles en était venue à figurer pour notre époque un âge d’or, quand à l’ombre des vergers coulaient le lait et le miel.

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