À quoi sert un médecin du travail ?

À prévenir. L’objectif essentiel est d’éviter qu’un salarié ne tombe malade du fait ou à cause du travail. Il y a trois types d’interventions. La prévention primaire, lors des visites périodiques, à l’embauche ou régulièrement dans la vie professionnelle. La fréquence des visites change en fonction de l’exposition à des risques professionnels. La prévention secondaire consiste à repérer un risque et à l’éviter. Enfin, la prévention tertiaire. La personne est déjà malade et il faut limiter les dégâts. Cela se passe dans le cadre de nos visites « spéciales » demandées par le salarié ou son employeur après une reprise suite à un arrêt maladie ou un accident du travail. À l’issue de chacune de ces visites, on transmet notre avis aux employeurs. S’ils ne peuvent appliquer nos préconisations, ils doivent justifier leur choix. 

Vous exercez depuis quinze ans, pour des entreprises allant de l’hôtellerie à la manutention. Avez-vous observé une évolution dans les pathologies ?

Le grand changement, c’est l’arrivée des risques psychosociaux (stress, burn out, etc.) dans notre grille d’analyse. Quand j’ai débuté, on n’en parlait pas, et si on en parlait, la loi ne donnait pas au médecin du travail la faculté de s’en saisir car elle ne forçait pas les employeurs à s’en préoccuper. Mais sur ces questions, nous ne sommes pas encore au point. Si nous savons accompagner les risques psychosociaux dans les grandes entreprises, nous n’avons pas de réponses simples pour les PME.

De quoi souffrent ces employés et comment les aider ?

Ils sont cadres, managers de proximité… et ils souffrent des injonctions paradoxales, faire plus avec moins : ils culpabilisent de ne plus pouvoir exercer leur métier comme avant. Concrètement, lors d’épisodes de surmenage, j’émets un avis d’inaptitude temporaire, autrement dit je les oblige à quitter un certain temps leur activité. Si besoin, je les rencontre durant leur arrêt maladie. Lorsqu’ils reprennent le travail, je peux proposer des aménagements, comme un changement de service. Mais parfois un départ définitif est la solution. Trois, quatre fois par an, des patients me remercient d’avoir changé leur vie. 

Un rapport parlementaire publié en mai propose de réduire la fréquence des visites à une visite obligatoire tous les cinq ans. Vos interventions seraient-elles moins utiles ? 

À l’origine, les visites étaient annuelles. On est passé à tous les deux ans, puis tous les deux ans mais en alternance avec des entretiens réalisés par des infirmiers… La tendance est à la baisse car il y a une pénurie des médecins du travail. Cela ne menace pas notre activité : si cette mesure est adoptée, les salariés qui en ont besoin demanderont à nous rencontrer. En revanche, on ne pourra plus régulièrement prendre le pouls de l’entreprise, ce qui est important pour comprendre le contexte de travail des employés. Mais le plus dérangeant est que ce rapport questionne l’article de loi qui assoit notre pouvoir sur les employeurs. Or, c’est là le nœud de notre métier : nous sommes les seuls à avoir la légitimité pour aborder des sujets de santé et pouvoir imposer des aménagements de travail aux employeurs. 

Voyez-vous votre relation avec les employeurs comme un rapport de force ? 

Nous sommes également à leur service, puisque nous sommes l’outil qui leur donne l’analyse pour trancher. Nous sommes à l’écoute, la bouffée d’oxygène qui permet parfois d’éviter des dérives de toutes sortes comme les conflits, voire le sabotage. Nous sommes le lien entre la santé et le travail, la variable d’ajustement entre deux mondes. Nous sommes aussi bien tenus au secret médical qu’au secret professionnel !

Parvenez-vous in fine à diminuer la pénibilité au travail ?

Ce n’est pas notre rôle. On ne baisse pas la pénibilité, on la constate et on met en évidence les dysfonctionnements. Notre job, c’est de donner l’alerte. Nous exerçons un métier exposé, toujours sur le fil entre les employeurs et les employés.  

Propos recueillis par CLARA WRIGHT

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !