Entre le travail et la santé s’instaure une dialectique qui peut être heureuse ou malheureuse. Tantôt ils reposent l’un sur l’autre – le travail comme épanouissement, voire comme thérapie – tantôt ils s’opposent l’un à l’autre – le travail comme maltraitance, physique ou psychique, ou comme facteur déclencheur de maladies. Entre ces deux extrêmes, une myriade de situations, une multitude de responsabilités, une flopée d’acteurs et d’intervenants. Et dans ce domaine si fondamental pour chacun individuellement et pour tous collectivement, que de raisonnements aporétiques, que de conflits inutiles, et surtout que de temps perdu !

« D’abord ne pas nuire », dit l’adage médical. Et premièrement prévenir. Certes, nous ne manquons pas de brochures sur les risques professionnels par secteur d’activité et par métier. Je peux aussi témoigner des progrès spectaculaires accomplis ces deux dernières décennies dans les entreprises industrielles en ergonomie, hygiène, ou détection de dangers de toute nature. Quant aux entreprises de service, elles n’ont pas rechigné à s’approprier le concept de bien-être au travail, s’efforçant de rendre les espaces de bureaux plus conviviaux, respectant le mieux possible l’articulation de la vie professionnelle et de la vie privée.

Mais prévenir c’est également un choix politique. En créant et en entérinant un lien entre retraite et pénibilité, les gouvernements de droite comme de gauche, avec l’appui des organisations syndicales, ont choisi de « réparer ». Plus son travail est pénible et plus le salarié acquiert des points pour des trimestres de retraite supplémentaires. On pourrait vouloir éviter le préjudice à la source mais on préfère l’indemniser, quitte à consacrer le salarié dans son statut de victime. Un plan de financement de programmes passerelles de façon que plus personne ne reste au-delà de trois ou cinq ans dans un métier dit pénible ou des projets d’amélioration radicale des conditions de travail n’eût-il pas été plus favorable à la santé des salariés ? BMW, dans l’une de ses usines allemandes, a substitué aux sols en béton des planchers en bois pour réduire la fatigue et l’électricité statique, et a mis un physiothérapeute à disposition des employés dans l’atelier. Qui aura la meilleure santé, de l’ouvrier français doté d’un compte pénibilité à points ou de l’ouvrier allemand bénéficiant de séances de gymnastique dans un environnement optimisé ?

Le discours actuel sur le burn out relève quant à lui de l’impasse. Rares sont les dirigeants d’entreprise qui nieraient le syndrome d’épuisement pro­fessionnel. C’est même pour limiter ce type de risques que se sont développés le management participatif ou les modèles d’organisation bottom-up, du bas de la hiérarchie vers le haut. Tout dépend-il de l’entreprise ? Souvent le burn out provient de l’impression d’être pris au piège. On sait alors qu’un aménagement de la durée du travail permettrait de répartir la charge plus équitablement entre tous les collaborateurs. Mais comment faire, la durée du travail ayant été définie uniformément une fois pour toutes et ne pouvant pas être négociée en fonction des spécificités de l’entreprise ? Si l’on veut s’en aller, comment prendre le risque de démissionner alors que le marché du travail est déprimé depuis si longtemps ? L’issue de secours est introuvable. Et plus les procédures deviennent rigides, et moins elle existe. 

Chacun sait que l’alcool est dangereux. À tous les niveaux de postes. Certaines entreprises inscrivent l’interdiction de sa consommation dans leur règlement intérieur. Soit… Mais il faut savoir que le Code du travail autorise expressément le vin, la bière, le cidre, et… le poiré ! Une anecdote qui résume à elle seule les paradoxes du droit du travail et la dramatique ambiguïté des discours publics. Tranchons les nœuds gordiens. Agissons avec cohérence. La santé et l’emploi ne peuvent supporter les basses et petites politiques boutiquières.  

 

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