C’est l’histoire d’une roue de vélo qui ne tourne pas. Une roue à boyau posée contre un bureau dans une rédaction. Pas n’importe quel bureau. Celui de Dustin Hoffman – alias Carl Bernstein – dans Les Hommes du Président. Ce film, je l’ai vu cent fois, pour dire un chiffre. J’étais adolescent à sa sortie en 1976. Je ne rêvais que du Tour de France et du maillot jaune. Mais ces deux reporters du Washington Post qui allaient dégommer un président des États-Unis, c’était à couper le souffle. La fiction semblait plus vraie que nature. On était dans la fièvre de l’enquête. L’ombre menaçait sans cesse d’avaler la lumière. Pour la première fois j’entendis l’expression « gorge profonde » et je crus dur comme fer que les vraies informations s’obtenaient dans les sous-sols obscurs des parkings. 

Longtemps je me suis demandé ce qu’ils venaient faire dans l’histoire, ces plans fixes sur une roue de vélo. J’ai fini par y voir un signe et un signal. Je serais un Rouletabille, un journaliste pédalant. Plus tard Jean-Luc Godard m’a conforté dans cette intuition en décidant que le cinéma, c’était la vérité vingt-quatre fois par seconde. Une partie de (ma) vérité dormait dans cette image anodine, une invitation à tailler sa route. À chaque rediffusion du film, je vérifie que la roue est toujours là. Woodward et Bernstein continuent de traquer le mensonge avec une énergie intacte. Le cinéma est comme le vélo une machine à remonter le temps. Plus il est d’hier et plus il raconte aujourd’hui. 

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