Il pense avec tendresse à ce temps où il ne sera plus.
Parce que n’est-ce pas on ne peut pas être toujours.
On ne peut pas être et avoir été.
Et où tout marchera tout de même.
Où tout n’en marchera pas plus mal.
Au contraire.
Où tout n’en marchera que mieux.
Au contraire.
Parce que ses enfants seront là, pour un coup.

Ses enfants feront mieux que lui, bien sûr.
Et le monde marchera mieux.
Plus tard.
Il n’en est pas jaloux.
Au contraire.
Ni d’être venu au monde, lui, dans un temps ingrat.
Et d’avoir préparé sans doute à ses fils peut-être un temps moins ingrat.
Quel insensé serait jaloux de ses fils et des fils de ses fils.

Est-ce qu’il ne travaille pas uniquement pour ses enfants.

Il pense avec tendresse au temps où on ne pensera plus guère à lui qu’à cause de ses enfants.

 

Extrait du Porche du mystère de la deuxième vertu

 

Ce qui étonne Dieu, nous raconte Charles Péguy, c’est l’espérance. Que les hommes « voient comme ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin », ça, Dieu, il n’en revient pas. Et le poète non plus. Le Porche du mystère de la deuxième vertu paraît en 1911 dans la revue créée par Péguy, les Cahiers de la Quinzaine. L’écrivain y développe un long monologue fait de reprises et de subtiles variations. De quoi approcher la flamme de l’espérance de manière non conceptuelle. Et donner à ressentir la complexité du réel par les mots les plus simples. Car Péguy toujours combat les lâchetés physiques et intellectuelles. Fidèle à ses convictions, il s’engagea dans le parti socialiste et en faveur de Dreyfus. Mais il retrouva aussi la voie de la chrétienté et fut un penseur du nationalisme avant sa mort au front en 1914. Attaché à l’enseignement laïc, il encensera les « hussards noirs » de la République, ces instituteurs à qui, enfant d’origine modeste, il dut tant. Mais il dénoncera également le monopole d’État dans l’organisation de l’éducation et ses conséquences : le népotisme des nominations, le remaniement incessant des programmes, la misère des enseignants. La fin en 1902 de la suprématie des humanités classiques au profit des langues vivantes et des sciences constitue pour lui le signe d’une soumission aux puissances de l’argent. Apprend-on l’alphabet uniquement pour lire des gauloiseries et « les pornographies des programmes électoraux » ? « Comment enseigner quand tout le monde ment ? »  

Du même auteur, Notre jeunesse 

 

 

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