Je suis le fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Kansas. J’ai été élevé en partie par un grand-père blanc qui, après avoir survécu à la Grande Dépression, servit sous les ordres de Patton durant la Seconde Guerre mondiale, et par une grand-mère blanche qui travaillait sur une chaîne de montage de bombardiers à Fort Leavenworth pendant qu’il combattait outre-mer. J’ai étudié dans certaines des meilleures écoles d’Amérique et vécu dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Je suis marié à une Américaine noire qui a en elle du sang d’esclaves et du sang de propriétaires d’esclaves – un héritage que nous transmettons à nos deux filles adorées. J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux, des oncles et des cousins de toute race et de toute couleur de peau, dispersés sur trois continents, et jusqu’à mon dernier jour je n’oublierai jamais que mon histoire n’aurait été possible dans aucun autre pays du monde. […]

Mais la race est une question que notre pays ne peut se permettre d’ignorer […]. Comme l’a écrit William Faulkner : « Le passé n’est ni mort ni enterré. En fait, il n’est même pas passé. » Inutile d’égrener ici l’histoire de l’injustice raciale dans ce pays. Mais nous devons absolument nous souvenir que beaucoup des disparités qui existent aujourd’hui au sein de la communauté afro-américaine trouvent directement leur origine dans les inégalités transmises par une génération qui a souffert de l’héritage brutal de ­l’esclavage et du racisme.

Les écoles réservées aux Noirs étaient, et sont toujours, de moins bonnes écoles ; nous n’y avons toujours pas remédié […] et l’enseignement inférieur qu’elles prodiguaient et continuent de prodiguer permet d’expliquer en partie l’écart que l’on continue de constater entre les résultats des étudiants noirs et ceux des Blancs.

La discrimination légale – par laquelle on em­­pêchait les Noirs, souvent par la violence, d’acquérir une propriété ; on refusait des prêts à des ­entrepreneurs afro-américains ; on empêchait les Noirs propriétaires de leur logement de bénéficier de prêts hypothécaires avantageux ; on excluait les Noirs des syndicats, de la police, du corps des pompiers – s’est traduite par l’impossibilité pour les familles noires d’accumuler un patrimoine qu’elles auraient pu transmettre aux générations suivantes. Cette histoire permet d’expliquer les différences de niveau de vie et de revenu entre Blancs et Noirs, ainsi que les poches de pauvreté qui subsistent aujourd’hui encore dans trop de communautés rurales et urbaines.

Le manque d’opportunités économiques accessibles aux hommes noirs, tout comme la honte et la frustration découlant de leur incapacité à subvenir aux besoins de leurs familles ont contribué à la dégradation de la condition des familles noires, un problème que les politiques d’aides sociales menées depuis de nombreuses années pourraient avoir aggravé. Et l’absence de nombreux services essentiels dans de nombreux quartiers urbains noirs – des aires de jeux pour les enfants, des rondes de police, un ramassage régulier des ordures et le respect du code de la construction – a contribué à générer un cycle de violence, de gâchis et d’abandon qui continue de nous hanter. 

 

Traduit de l’anglais par GILLES BERTON

Source : lemonde.fr

 

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