En 1920 Paul Valéry a écrit un long poème métaphysique sur le temps et la mort. Il l’a appelé « Le Cimetière marin » parce qu’il avait été obsédé par le mystère de la mer, la fascination de ses secrets et la quête de l’immortalité. Depuis, chaque fois que des marins sont avalés par les flots et ne reviennent plus, on parle de la mer en tant que tombeau insondable et sans appel. 

En regardant les photos de ces corps d’immigrés ayant trouvé « asile » dans les fonds marins au large de Lampedusa, on pense à ce poème avant d’imaginer comment et pourquoi ces personnes ont eu cette fin tragique. Ainsi des hommes et des femmes ont fondu dans une épaisse absence, dans une profonde solitude. La mer est devenue leur dernière demeure, le cimetière de tout ce dont ils ont rêvé, le tombeau de toutes leurs espérances. Leurs yeux se sont perdus dans les flots. Leurs corps se sont dissous dans les algues et le silence. Leur mémoire s’est vidée de ses souvenirs. Que dire ? Qu’écrire ? Les dieux et le ciel sont indifférents. 

Partis de l’Afrique subsaharienne, de Libye ou de Syrie, ils ont vécu avec l’Europe dans les yeux, une illusion, une erreur. Ils savaient que d’autres avant eux avaient fait ce voyage et qu’ils avaient perdu la vie. Mais que vaut une vie sans dignité, sans travail, sans lumière intérieure ? Quand on n’a plus rien à perdre, on tente l’impossible. Leur destin prend alors le chemin de l’exil et tombe en morceaux jusqu’à ce que l’âme expire. 

Ils ont marché et traversé des pays, des montagnes, des mers et enfin ils ont abouti de nuit dans une citerne noire qui les a broyés, avalés, certains furent rejetés, d’autres sont restés dans les profondeurs marines. Ces corps sont là comme des objets trouvés dans un navire qui aurait fait naufrage. Ce sont des pièces à conviction dans un procès qui n’aura jamais lieu. Ils sont encore habillés. Mais que sont devenus les rêves qu’ils avaient fabriqués, y mettant de la couleur et de la musique ? Ils se sont dissous dans cette mer dévoreuse de vies, impitoyable et sans recours. 

Les guerres qui déchirent la Syrie, l’Irak et la Libye entre autres ont pour conséquence inattendue de pousser des familles entières à accepter le marché proposé par des passeurs mafieux en vue de trouver une terre d’asile en Europe. 

Il n’y a pas que les clandestins subsahariens qui meurent au large des côtes méditerranéennes. À présent des réfugiés syriens, libyens et irakiens perdent la vie noyés. 

1 300 morts depuis janvier 2015. L’an dernier on a compté 3 500 noyés. Pas un jour, pas une nuit sans que des hommes et des femmes se noient ou soient sauvés dans des conditions difficiles. L’Europe s’est réunie. Des décisions ont été prises. Rien d’extraordinaire. Le drame continue. Elle aurait pu au moins mettre sur pied une politique de coopération avec les pays d’où partent ces candidats à l’exil, se donner les moyens pour mener une lutte efficace contre la mafia des nouveaux esclavagistes. L’affaire se complique avec ceux qui fuient la Syrie ou l’Irak. La Libye n’est pas un État. C’est un assemblage de tribus avec deux gouvernements, l’un reconnu par les Nations unies, l’autre pas. La Syrie est dirigée par un massacreur de son propre peuple et se moque pas mal de ceux qui fuient les bombardements, qu’ils viennent de l’armée de Bachar ou des hordes de Daech. 

L’Europe a encore une fois montré son incapacité à régler un problème grave. Il n’est pas question d’accueillir toute la misère du monde. Mais si elle n’agit pas de manière concertée et concrète en essayant de soigner le mal à la racine, ces milliers de désespérés continueront à tenter leur chance. La mort ne leur fait plus peur.  

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