Les Anglais ne sont pas des gens comme nous. On peut en juger par leur humour qu’ils qualifient eux-mêmes de « britannique » pour ne pas vexer les autres. Non les étrangers, mais les autres sujets de Sa Majesté. Prenez donc deux Britanniques au hasard, George Bernard Shaw et Winston Churchill par exemple. Un jour, le premier envoya au second deux places pour le théâtre accompagné d’un mot : « C’est pour la première de ma nouvelle pièce. Venez avec un ami, si toutefois vous en avez un. » À quoi l’intéressé répondit en renvoyant les places accompagnées d’un mot : « Merci mais malheureusement, je suis pris ce soir-là. Cela dit, je viendrai volontiers à la deuxième, si toutefois il y en a une. »

Voilà, c’est quelque chose comme cela, leur humour. Toujours en sourire, jamais en rire. Cela ne se fait pas. Ce serait aussi mal vu que de porter des souliers marron après 18 heures. Ou de parler politique à table où doit régner le small talk, spécialité nationale consistant à ôter tout intérêt à la conversation en la ramenant au plus anodin dans le fol espoir de lui conférer la légèreté de l’ineffable. L’humour made in là-bas est un cocktail composé d’un mélange qui a fait ses preuves depuis des siècles, de « Shakespeare-upon-Avon » aux séries télévisées. Une grosse poignée d’autodérision, juste assez pour avoir conscience de leur excentricité ; une cuillérée à soupe de nonsense, forme la plus proche de l’absurde, lequel consiste à développer des raisonnements dénués de sens sous une apparence logique ; ­l’understatement en fond sonore de manière à élever la litote au rang d’un des beaux-arts ; nappez d’une couche d’insinuations indirectes mettant en cause des personnes, de préférence à propos de leur sexualité ; avec cela, une pincée de jeux de mots en pleine conscience de la part d’irrationnel du langage ; ce qu’il faut de private joke pour cultiver l’entre-soi, mâtiné d’une bonne dose d’hypocrisie, exercice pour lequel les Anglais n’ont pas à forcer leur nature ; secouez bien le shaker, servez à température ambiante tout en méditant la perfidie prêtée à Albion, avec le sourire complice de manière à mieux faire passer la cruauté sans méchanceté du traitement, et vous comprendrez pourquoi s’exilant en Angleterre, le chevalier d’Éon, dont on ne savait s’il était homme ou femme, ne pouvait naturellement s’établir que dans le Middlesex. 

L’Anglais a de l’humour, le Français a de l’esprit. Prière de ne pas confondre. Dans le premier cas, c’est considéré comme une marque de civilisation ; dans le second, comme une absence de caractère. Enfin, c’est ce qu’ils disent. Il est vrai qu’ils n’ont pas le tempérament blagueur. Ce doit être génétique, cette carence. L’Angleterre n’est-elle pas le plus proche des pays lointains ? Pierre Desproges prétendait connaître le moyen de distinguer les deux formes d’humour qui dominent l’univers : « L’humour anglais souligne avec amertume et désespoir l’absurdité du monde. L’humour français se rit de ma belle-mère. » On voit par là que ce gentleman était français.

Il y a des années de cela, à une période où nos gouvernements étaient sérieusement en bisbille, le plus gros tirage de la presse quotidienne anglaise avait lancé le concours de la meilleure devinette francophobe. Celle-ci l’avait remporté : « Pourquoi les Champs-Élysées sont-ils bordés d’arbres ? Pour permettre à l’armée allemande de défiler à l’ombre. » C’est vrai, les Anglais ont de l’humour. Dommage qu’on ne comprenne pas ce qu’ils disent. 

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