En quelques instants la cité s’est remplie. Le travail s’y installe, accéléré et rendu plus efficace par l’effet d’un outillage perfectionné ; il se déroule dans l’ambiance lumineuse, radieuse même, des bureaux dont les fenêtres immenses ouvrent en plein ciel, l’horizon étant haut, le bruit lointain, l’air pur. Loos m’affirmait un jour : « Un homme cultivé ne regarde pas par la fenêtre ; sa fenêtre est en verre dépoli ; elle n’est là que pour donner de la lumière, non pour laisser passer le regard. » Un tel sentiment s’explique dans la ville congestionnée où le désordre apparaît en images affligeantes ; on admettrait même le paradoxe en face d’un spectacle naturel sublime, trop sublime. Pourtant, si j’escalade les plates-formes de la tour Eiffel, j’acquiers en montant un sentiment d’allégresse ; l’instant devient joyeux – grave aussi ; au fur et à mesure que l’horizon s’élève, il semble que la pensée soit projetée en trajectoires plus étendues : si, physiquement, tout s’élargit, si le poumon se gonfle plus violemment, si l’œil envisage des lointains vastes, l’esprit s’anime d’une vigueur agile ; l’optimisme souffle. Le regard horizontal conduit loin : c’est en somme un grand résultat sans un travail pénible. Songez que jusqu’ici les horizons ne nous ont été révélés que par des yeux à peine élevés au-dessus du sol ; on ne connaissait pas autrefois ces à-pics saisissants ; les alpinistes seuls avaient eu la sensation grisante. 

De la tour Eiffel aux plates-formes successives, de 100, 200 et 300 mètres, le regard horizontal possède des immensités et nous en sommes commotionnés, nous en sommes influencés. 

De ces bureaux de travail nous viendrait donc le sentiment de vigies dominant un monde en ordre. En fait, ces gratte-ciel recèlent le cerveau de la Ville, le cerveau de tout le pays. Ils représentent le travail d’élaboration et de commandement sur lequel se règle l’activité générale.  

 

Le Corbusier, Urbanisme, 1924

© Fondation Le Corbusier, ADAGP, Paris 2015

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