C’est à la lumière de ce système d’explication que j’ai cru pouvoir distinguer dans l’indivision de la droite et l’apparente confusion de ses énoncés trois droites, dotées chacune de tous les attributs d’une authentique tradition politique, ayant en propre système de pensée, tempérament, clientèle, et irréductibles les unes aux autres. Elles ont fait leur apparition dans notre histoire à des moments successifs, ou, plus exactement, elles ont opéré leur passage à droite à des moments décalés, car leur émergence les a faites à peu près contemporaines : elles étaient déjà formées à l’époque où nous entreprenons de raconter leur histoire, au début de la Restauration, mais elles n’avaient pas toutes encore un nom et une identité à l’état civil des idéologies enregistrée. Si l’une s’est, d’entrée de jeu, située à droite au point d’être la droite et de le rester depuis, les deux autres ne s’y établiront à titre irrévocable que plus tardivement. 

De ces trois droites la première emprunte aux ultras de la Restauration sa doctrine : la contre-révolution. Elle est la tradition faite système, érigée en politique, incorporée dans la sensibilité. La seconde, qui associe indissolublement libéralisme et conservation, tient son fonds de l’orléanisme. La troisième est un amalgame d’éléments originellement hétérogènes, mais qui a acquis une cohérence et une consistance propres sous le signe de l’autorité et du nationalisme : elle a un précurseur dans le bonapartisme.  

Entre ces trois droites des échanges se sont opérés, des rapprochements esquissés, même des coalitions nouées contre l’adversaire commun : la gauche. Mais sans aller jamais jusqu’à les confondre dans un ensemble indivis : leur singularité n’en a pas été altérée. C’est de ces trois traditions, d’inégale ancienneté et d’importance variable avec le temps, que la conjonction forme le faisceau appelé inexactement au singulier la droite française. 

Les Droites en France

© Aubier-Montaigne, 1982

 

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