Jusqu’à une date récente, la droite n’a jamais eu trop de mal à se situer par rapport à la gauche : face à la force irrésistible des valeurs d’émancipation de l’individu issues des Lumières, il lui suffisait d’opposer sa capacité gestionnaire à l’idéalisme de la gauche. D’où l’importance, dans sa hiérarchie de valeurs, des notions d’effet pervers et de retour au réel. À la gauche, les valeurs universelles ; à la droite, leur traduction « vraie » dans l’expérience du particulier. 

Vus de Sirius, ceux qui se reconnaissent dans la droite sont du côté des valeurs régaliennes : ordre, nation, propriété, sécurité, responsabilité. La gauche est du côté des valeurs sociales : progrès, égalité, laïcité, solidarité. Certes, chacun de ces camps n’a cessé d’être tenté par la montée aux extrêmes. Mais en république, les choix de valeurs ont résulté le plus souvent de compromis selon les rapports de forces et le mouvement des mœurs. C’est ainsi que, par le jeu des alternances, la droite s’est ralliée à la devise de la République, et a résisté, sauf sous Vichy, à la tentation d’imposer une morale d’État. L’un des apports de la logique bipolaire de la Ve République est d’avoir tendu à apaiser les conflits de valeurs opposant la droite à la gauche, au point que l’on a pu croire que l’alternance de 2012 favoriserait les conditions de la « décrispation » souhaitée par Valéry Giscard ­d’Estaing en 1974.  

Dans tous les cas, depuis de Gaulle, les présidents de la Ve République qui se sont imposés à leur famille politique sont ceux qui ont réussi à dominer la synthèse des courants qui divisaient leur camp. Or il apparaît à l’évidence, depuis la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, que, dans un contexte de crise financière, économique et sociale majeure, l’implantation du Front national au cœur du débat politique français rend une telle synthèse de plus en plus difficile. Ce qui est vrai pour le PS, entravé par la montée des aspirations à la rupture, l’est encore plus pour la droite : le compromis entre légitimisme institutionnel, libéralisme économique et attachement au consensus social avait, semblait-il, réussi à faire converger les trois droites chères à René Rémond en une droite plurielle mais cohérente, adaptée à la ­modernité. 

Cette synthèse est aujourd’hui retournée comme un gant, terme pour terme, par la contestation populiste de la représentation parlementaire, le rejet de la menace que la mondialisation fait peser sur les classes moyennes et la banalisation médiatique de passions autoritaires et xénophobes sans précédent depuis les années 1930. La grande différence avec le dernier avant-guerre est heureusement que ce phénomène proprement réactionnaire ne parvient à s’imposer qu’en se réclamant d’un affichage laïque et républicain, destiné à escamoter ses composantes intégriste, raciste et subversive. Pour déjouer ce piège, la droite modérée n’est donc pas sans moyens : elle a besoin, plutôt que d’un sauveur, d’un rassembleur capable de remettre ses valeurs à l’endroit. 

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