Pendant longtemps la fameuse classification que René Rémond avait introduite dans les années 1950 entre les droites bonapartiste, orléaniste et légitimiste a servi de confortable grille de lecture pour ordonner les familles idéologiques et culturelles des droites françaises. L’historien parlait de « sensibilités » et de traditions intellectuelles et non de courants idéologiques organisés. Courants et programmes étaient à cette époque l’apanage de la gauche. Il trouvait, par ailleurs, dans l’attachement à l’intervention de l’État, au libéralisme économique et politique, à la nation et à l’ordre social et moral, les principaux marqueurs permettant de distinguer ces sensibilités. Aujourd’hui, la situation a évolué : la production idéologique et programmatique est devenue centrale à droite et la trilogie de René Rémond est une grille moins opératoire.

Auparavant, des sensibilités irriguaient de manière assez fluide les partis de droite. Les courants idéologiques n’étaient pas toujours clairement identifiés et organisés. Ils ne structuraient pas une compétition interne qui d’ailleurs était rarement ouverte et disputée. Les choses ont bien changé. La production programmatique est maintenant au cœur des rivalités internes. Non seulement, depuis 2012, des courants – « droite populaire », « forte », « sociale », « moderne » – se sont constitués, mais la perspective de primaires ouvertes a stimulé la production programmatique. S’appuyant sur leurs clubs respectifs, les différents candidats – Alain Juppé, François Fillon, Xavier Bertrand – se sont impliqués dans l’élaboration d’un programme et, plus d’un an avant les éventuelles primaires, l’ont déjà mis en scène à travers leurs blogs, des conférences de presse et des interventions télévisées. L’investissement dans ce travail est désormais passé à droite dans les bagages du pluralisme interne.

Si l’on décrypte alors cette production programmatique, retrouve-t-on les classifications forgées par René Rémond ? En réalité, sa distinction entre les trois droites s’est brouillée. Déjà, les revirements idéologiques de Jacques Chirac avaient introduit une certaine confusion. Mais surtout, à partir de 1981, le « tournant néolibéral » engendré à la fois par l’alternance et la contagion du thatchérisme et du reaganisme avait marqué une première inflexion allant dans le sens d’une dénonciation du poids de l’État dans l’économie et sur les entreprises. Parallèlement, la conversion à l’Europe de l’ancien RPR avait réduit l’écart qui le séparait de l’UDF sur la question nationale. De fait, la création de l’UMP en 2002 sous la bannière de l’union de la droite et du centre était venue entériner ce rapprochement. La conquête par Nicolas Sarkozy du leadership a, par la suite, progressivement introduit une seconde inflexion idéologique sur les questions sociétales et culturelles, par la promotion de la défense de l’identité nationale et la reprise de certains thèmes du Front national provoquant un débat au sein de l’UMP. Si l’on examine, les propositions des différents candidats aux primaires présidentielles, on constate que les questions économiques ne permettent pas de les distinguer, alors qu’on saisit certaines nuances sur les questions sociétales et culturelles. Remise en cause des 35 heures, réduction du nombre de fonctionnaires, recul de l’âge de départ à la retraite, coupes dans les dépenses publiques, baisse de la fiscalité : les rivaux s’accordent sur une « libéralisation » de l’économie. Même si paradoxalement, c’est l’ancien gaulliste social François Fillon qui campe sur les positions les plus radicales en parlant de « choc libéral ».

Les positions divergent sensiblement quand on aborde les enjeux portant sur les droits des homosexuels et singulièrement la question du mariage, le rapport à ­l’islam et à l’immigration. Alain Juppé a adopté des positions beaucoup plus progressistes, conformes à sa stratégie d’alliance avec le centre, même si elles ne sont probablement pas dominantes à l’UMP. La gauche gouvernementale a cherché dans les réformes sociétales et culturelles un plus petit dénominateur commun alors qu’elle se divisait sur les questions économiques et sociales. De son côté, la droite apparaît unie en matière de réformes économiques, mais divisée sur les enjeux sociétaux et culturels. 

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