Le menteur est certes coupable, mais coupable aussi celui qui croit le menteur quand il aurait pu se douter qu’il mentait. Il y a des gens qui font profession de mensonge, c’est sottise de vouloir l’ignorer : les publicitaires qui vantent les mérites d’un produit auquel ils ne croient pas, mais qui sont payés pour le faire vendre, les salariés d’une religion qui n’ont jamais vu Dieu, mais en parlent tous les jours et menacent ceux qui n’y croient pas de mort ou d’enfer, les mafieux qui prétendent agir au nom d’une morale de la solidarité tribale et qui ne visent qu’au monopole de la violence dans le quartier, les commerçants dont les soldes révèlent une fois par an avec quelles marges ils ponctionnent le consommateur en temps normal. Les politiciens sont un mélange de tout cela : publicitaires et salariés d’une religion, mafieux et commerçants. Je dis bien les politiciens, que je distingue des hommes politiques qui, eux, possèdent une vision de l’histoire et n’ont pas pour seul objectif d’être élus ou réélus.

Ces gens-là ont leurs penseurs : Platon qui justifie le mensonge dans La République pourvu qu’il soit pratiqué par les gouvernants et uniquement dans l’intérêt de la cité – c’est la naissance de la raison d’État. Machiavel qui, dans Le Prince, estime que l’homme qui veut exercer le pouvoir se retrouve face à deux questions : « Comment accéder au pouvoir ? ». Puis : « Quand on y est, de quelle façon s’y maintenir ? ». Deux questions qui ont une seule et même réponse : tous les moyens sont bons, une fois en utilisant la ruse du renard, une autre en ayant recours à la force du lion. Or, chacun en conviendra, la ruse est l’une des modalités du mensonge. Trotsky enfin qui, dans Leur morale et la nôtre, interdit qu’on puisse penser avec les catégories de la morale bourgeoise les pensées, faits et gestes proférés ou accomplis par un homme qui agit dans l’intérêt de la révolution : pendre des opposants politiques ne saurait donc être immoral au regard de la morale révolutionnaire, on imagine bien que le mensonge, menue monnaie du militant, s’avère légitime dans cette configuration.

Ces penseurs ont en commun d’être des conséquentialistes en philosophie, autrement dit, des individus qui ne condamnent pas le mensonge en soi mais en regard de ce qu’il sert, de ses conséquences : mentir pour assurer l’être et la durée de l’État, mentir pour permettre l’accession au pouvoir et le fait de s’y maintenir, mentir pour accélérer le processus révolutionnaire puis son être et sa durée, voilà qui est légitime. 

Chacun comprendra que les politiciens pensent et agissent de même : du « Changer la vie » mitterrandien à « Réenchanter le rêve français » de Hollande, en passant par la promesse chiraquienne d’attaquer « la fracture sociale » ou sarkozyste d’éradiquer  « la racaille », tous ont promis plus qu’ils ne savaient pouvoir tenir – sinon, ce n’était pas mensonge cynique, mais bêtise crasse…

Quiconque dispose d’un peu de lucidité, de sens de l’histoire peut imaginer que les promesses du Front national et du Front de gauche, sans parler de celles du NPA, buteraient sur le réel comme Syriza trébuche déjà sur la réalité, au point que, moins d’une semaine après avoir obtenu le pouvoir, ce parti a déjà renoncé à sa mesure phare d’augmenter le Smic !

Les hommes politiques qui ont refusé le mensonge et voulu dire la vérité n’ont jamais fait carrière. La vérité ne fait pas rêver, voilà la cruelle vérité. Or une partie du peuple, abrutie par les médias de masse, veut rêver, le réel lui est trop dur. Elle ne veut pas qu’on lui promette du sang, des larmes et des efforts, mais du plein-emploi, du consumérisme de masse, de l’accès à la société de consommation. Dans notre ère de communication généralisée, le premier menteur qui a compris cela a le pouvoir à portée de la main.  

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