De 2000 à 2005, j’ai assisté à des centaines de comparutions au tribunal pour enfants de Paris. La plupart des affaires pénales impliquaient des délits comme le vol simple, le vol avec violence ou le vol en réunion. Les objets les plus fréquemment volés étaient des téléphones portables et des sacs à main ou à dos, lors d’agressions généralement commises sans armes et n’ayant pas occasionné de blessures. L’immense majorité des prévenus (90 %) étaient des adolescents maghrébins, africains et antillais âgés de 15 à 17 ans, issus de familles défavorisées, ou des Européens de l’Est, surtout des Roumains, garçons et filles ayant immigré pour chercher du travail ou poursuivre des études. La plupart d’entre eux vivaient dans des squats, volaient et se prostituaient pour survivre.

J’ai étudié le système judiciaire français au moment où la priorité éducative de la protection de l’enfance mise en application en 1945 était menacée. Dans les années 1990, les arrestations de mineurs avaient augmenté de manière spectaculaire alors que le taux de criminalité global avait diminué. L’attention de l’opinion se portait sur une nouvelle catégorie sociale menaçante : la délinquance d’exclusion – référence codée à une jeunesse défavorisée immigrée ou d’origine immigrée. Le contrevenant typique était devenu le délinquant immigré, alors associé à des actes de violence pourtant rares comme le viol, le crime d’honneur, la violence domestique ou la rivalité entre gangs dans les cités. La criminalité des mineurs était décrite comme relevant d’une crise de l’ordre public, et elle réveillait des débats acrimonieux sur la nature et les causes de la délinquance ainsi que sur les mérites de la répression, par opposition à l’éducation.

Experts de gauche et de droite s’accordèrent sur le fait que ces nouveaux délinquants étaient différents de ceux du passé ; ils étaient plus jeunes, plus violents, donc davantage de répression était nécessaire, et moins d’impunité. Aussi les législateurs français votèrent-ils en faveur de peines plus dures pour les délits existants ; ils créèrent de nouveaux crimes, comme le vagabondage, qui fit l’objet de lois ; et ils accélérèrent le processus judiciaire pour les mineurs. Les lois des année 2000 instaurèrent pour la première fois des peines planchers, suspendirent l’excuse de la minorité pour les 16-18 ans, étendirent la détention préventive des 13-16 ans, et rendirent passibles de prison davantage de délits.

Cette tendance répressive a surtout affecté les pauvres, et accentué la menace qu’ils constituent. Le titre délibérément provocateur de mon ouvrage de 2009, Judging Mohammed (Stanford University Press, 2009), souligne la discrimination cachée du système judiciaire français qui ne reconnaît officiellement que des individus, mais qui poursuit en justice et condamne de manière disproportionnée des membres de groupes marginalisés et considérés comme potentiellement dangereux, tels les jeunes étrangers ou d’origine étrangère. Ceux-ci sont surreprésentés au tribunal et en prison, où nombre d’entre eux se radicalisent. Au lendemain des attentats atroces de Paris, le risque est grand d’amalgamer immigration et criminalité. La majorité des jeunes gens que j’ai vus au tribunal n’étaient pas le danger, ils étaient en danger. Ils ont besoin d’une meilleure éducation, d’emplois, pas de casiers judiciaires plus fournis.

Les Français devraient analyser les conséquences de la politique répressive des États-Unis où, chaque année, près de 200 000 jeunes comparaissent comme adultes. S’ils sont condamnés, ils risquent des peines dans des prisons pour adultes et des peines à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Les Français devraient tenir compte des appels de la ministre de la Justice Christiane Taubira à rejeter la justice répressive, et à revenir aux principes qui ont valu à la France sa réputation de modèle de justice réhabilitative. 

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