Podemos comble un vide. Un vide d’autant plus grand que l’espoir suscité par le mouvement des Indignés en mai 2011 a été immense. C’est parce qu’il répond à une demande préexistante que l’inamovible trio composé de Juan Carlos Monedero, Pablo Iglesias et Íñigo Errejón atteint ses objectifs. 

À l’origine de Podemos, se trouve la conversion de Juan Carlos Monedero. À la quarantaine bien tassée, ce professeur, transfuge d’Izquierda Unida (« Gauche Unie », IU), est devenu le conseiller et ami du commandant Hugo Chávez qui l’a nommé directeur du centre d’études Miranda à Caracas. Il s’approprie alors le terme de « contre-pouvoir » en s’opposant à la mondialisation et à l’impérialisme. Pour lui, l’œuvre géniale de Chávez fournit un exemple concret de la façon de s’imposer face à une oligarchie et à l’empire américain au moyen d’une « prise du pouvoir par le peuple » incarnée par un leader. Il annonce le « socialisme du xxie siècle ». La faculté lui servira de vivier. Bien plus jeune, Pablo Iglesias, lui aussi ancien communiste, fut en son temps partisan de violentes manifestations de masse contre la mondialisation. Encore plus jeune, Íñigo Errejón est également un admirateur du Venezuela de Chávez où il a travaillé un temps. C’est probablement là qu’il a acquis les compétences nécessaires à la propagande sur le net. 

Contrapoder (« contre-pouvoir ») représente la première étape de leur ascension. À partir de 2010, cette association d’étudiants gauchistes prend le contrôle d’une faculté de l’université Complutense de Madrid. À l’abri d’une singulière autorité académique, des enseignants radicaux forgent et dirigent une minorité active disposée à conquérir l’espace universitaire, en suivant le modèle chaviste d’anéantissement de l’adversaire. Des conférences de figures politiques démocrates sont violemment boycottées, un geste que Pablo Iglesias en 2008 considère exemplaire et digne d’Antigone. Un an auparavant, le mouvement s’était déjà distingué en affichant sa solidarité avec le terroriste d’ETA De Juana Chaos. La constellation chaviste d’Amérique latine est l’exemple à imiter, ce qui implique la disqualification sans appel de la transition démocratique et de l’ordre constitutionnel espagnols de 1978. « Chávez est immortel » reprendront en chœur Pablo Iglesias et ses partenaires. 

C’est peut-être la raison pour laquelle Chávez, intéressé par de possibles plates-formes à Madrid, aide économiquement ses adeptes, qui forment le noyau d’un réseau d’universitaires sensibles à sa politique latino-américaine. En 2010, ils lancent une émission sur une télévision de quartier. Interrompue par la suite, elle sera alors diffusée sur HispanTV, la nouvelle chaîne… d’Ahmadinejad ! L’émission s’intitule Fort Apache, c’est un pot-pourri gauchiste. 

Le grand saut a lieu lors des élections européennes : Podemos naît réellement à ce moment-là. Ses attaques contre « la caste » et les grands partis valent à Iglesias d’être invité à participer à des débats par une chaîne de télévision de droite. L’audimat s’envole et d’autres chaînes suivront l’exemple. Acteur amateur dans sa jeunesse, Iglesias parle bien, avec clarté et dureté, et il n’est pas très difficile pour lui de dénoncer les coûts de la politique économique, la corruption, l’évasion fiscale, la tragédie des familles expulsées de leur domicile. Podemos réussit à faire sien l’esprit de rejet des Indignés face aux grands partis, et possède dorénavant un leader. Bilan : cinq députés aux élections européennes et la perspective d’une ascension rapide. 

Chávez est alors relégué au grenier, tout comme le « socialisme du xxie siècle ». Podemos leur substitue un égalitarisme diffus dans lequel « les gens » ont le rôle principal, en opposition à « la caste », la corruption, l’inégalité, et promet une heureuse inversion du pouvoir. Voilà un singulier radicalisme qui prétend s’adresser à toutes les classes. Avec succès, puisqu’il arrive presque en première position dans les sondages.

Le modèle d’organisation du Mouvement 5 étoiles italien inspire à Podemos une tentative efficace de participation collective, soumise à une direction unique. En ce sens, la conférence constituante de septembre 2014, présentée comme relevant de la plus haute expression démocratique, réussit à satisfaire à partir d’Internet l’illusion participative des adhérents. Mais au moment d’introduire un peu de pluralisme, le « non » catégorique d’Iglesias, fidèle en cela à une conception léniniste du pouvoir, a clairement fait entendre que, dans son « centralisme cybercratique », seule compte la dictature du leader. Tout le monde participe, mais seule une personne décide. 

Le message aujourd’hui est toujours le même, celui du « parti contre », qui ne se risque pas à des débats de fond. La grande manifestation du 31 janvier en a fourni une nouvelle preuve. Pour l’image, la victoire de Syriza tombe bien, et permet d’exposer un plan économique. Mais ce qui importe, selon Iglesias, c’est d’être un parti de « dons Quichottes » luttant pour le « changement ». Parfois ressurgissent les objectifs des débuts, comme le pouvoir constituant face au régime actuel, ou la restructuration de la dette. Mais ce qui compte avant tout c’est de vaincre, et pour cela aucune alliance avec les autres forces de gauche n’est prévue. La concurrence, on la dépasse (IU) ou on la détruit en tant que « caste » (les socialistes). L’objectif de Podemos, ce n’est rien moins que le monopole du pouvoir.

Traduit de l’espagnol par MARIÉN NEVEU-AGERO

 

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