Pour visualiser la carte DE LA MER ROUGE À L'ATLANTIQUE, LES FOYERS DJIHADISTES, cliquez ici : http://le1hebdo.fr/cartes/afrique

Conception Michel Foucher
Coordination Sylvain Cypel
Réalisation Pascal Orcier
Adaptation graphique Antoine Ricardou, Aurélie Colliot
© le 1

Les 5 djihads du XIXe siècle

L’Afrique de l’Ouest a été traversée dès la fin du xviiie siècle par une succession de mouvements de réforme et d’extension par la force de l’islam (djihad). Ces mouvements étaient portés par des religieux peuls, alliés avec des groupes touareg et berbères relevant de la confrérie soufie de la Qadiriyya. Malik Sy créa ainsi un État musulman dans le Boundou (carte ci-dessus).

Le massif du Fouta-Djalon peuplé de pasteurs et d’agriculteurs animistes fut investi par des Peuls musulmans qui, avec l’appui des écoles coraniques, prirent le pouvoir sous la direction d’Alfa, un maître d’école (il proclama le djihad dans les années 1720), et d’Ibrahima Sori, chef militaire. Les chefs de clans imposèrent une théocratie propice à la traite esclavagiste.

Dans le Macina, delta intérieur du Niger, un chef religieux, Amadou Lobbo, membre de la Qadiriyya, contesta les pouvoirs traditionnels par la force et établit, après 1810, un État théocratique autoritaire qui s’étendit jusqu’à Tombouctou. Son petit-fils fut vaincu par le Toucouleur Omar Seydou Tall, dit El-Hadj Omar. Lors d’un séjour au Proche-Orient, ce dernier avait adhéré à la confrérie soufie de la Tidjaniyya qui contestait le conservatisme de sa rivale la Qadiriyya. Omar bâtit un empire, dit « toucouleur », dont le territoire allait du fleuve Sénégal (où il dut signer un accord avec les forces françaises) à Tombouctou. Les Bambaras furent contraints de se convertir. 

Une autre situation révélatrice de la dynamique politique précoloniale dans les aires soudano-sahéliennes est la formation du califat de Sokoto, sous l’impulsion du Peul Ousmane Dan Fodio, qui dénonçait en peul et en haoussa l’impiété des rois des cités haoussa. Le djihad fut lancé en 1804 et rallia les chefs religieux. La conquête des villes fut facilitée par l’efficacité de la cavalerie peule et le ralliement de la population acquise au djihad par la promesse de justice fiscale. Le califat engloba une quinzaine d’émirats peuls contrôlant les grandes villes et s’étendit jusque dans l’Adamaoua. L’ordre établi par le califat favorisa l’expansion de l’islam, le commerce, l’arabisation de la langue haoussa et l’esclavage aux dépens des non-­musulmans, avec le califat abbasside (viiie-xiiie siècles) comme référence et la charia comme loi.

Ces États issus de djihads d’une grande violence furent défaits par l’avancée de la colonisation française et britannique entre la côte atlantique et le lac Tchad. 

 

Les principales terres d’insurrection

L’Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Nord compte aujourd’hui cinq ensembles de foyers djihadistes principaux – Libye, Mali, Nigeria, Somalie, Égypte (Sinaï) –, dont chacun déborde sur les pays limitrophes, et environ une dizaine de groupes actifs d’inspiration salafiste-djihadiste. Leur objectif est de revenir à l’islam d’origine des ancêtres pieux (salaf) par la voie du djihad violent érigé en devoir personnel. Leurs cibles sont l’ennemi proche, formé des régimes jugés apostats car éloignés du « pur » islam et alliés de l’Occident, l’ennemi lointain. Dans le Guide général du djihad publié en 2013, Ayman al-Zawahiri, dirigeant d’Al-Qaïda Centrale, a fixé une ligne : « cibler en priorité la tête de la mécréance internationale, les États-Unis et son allié Israël et en second lieu ses alliés locaux qui régissent nos pays ».

Un tour d’horizon des foyers djihadistes

Le plus ancien foyer est AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique, dirigée par Abdelmalek Droukdal), issue du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) né en 1998 en Algérie. Combattu par Alger, le groupe s’est replié dans les montagnes du Nord du Mali, jusqu’à l’intervention militaire française. L’organisation a alors été en grande partie détruite et chassée vers la Libye. AQMI s’était appuyée sur le mouvement rebelle touareg islamiste Ansar Dine (et son chef Iyad Ag Ghali) pour prendre le contrôle des villes du Nord du Mali, mais il a été défait par l’opération française Serval lancée en 2013 dans ce pays. Le groupe Al-Mourabitoune, responsable la même année de l’attentat meurtrier contre la raffinerie d’In Amenas (Algérie), s’est replié dans le Fezzan, au sud-ouest de la Libye. 

Le second foyer est l’aire d’action de la secte Boko Haram (depuis 2003, dirigée par Aboubakar Shekau) qui prétend lutter contre l’oppression des musulmans par le gouvernement du Nigeria et ses alliés occidentaux. Shekau a monté une entreprise djihadiste régionale avec des ramifications dans le bassin du lac Tchad, ce qui a conduit aux engagements militaires en cours au Tchad et au Cameroun.

En Somalie, le groupe salafiste-djihadiste des Chabab, né en 2002, et qui avait le projet d’imposer la charia sur les clans du sud et du centre qu’il contrôlait, a dû céder du terrain devant l’intervention conjointe des forces éthiopiennes et de celles de l’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie, avec des troupes venues d’Ouganda, du Burundi et du Kenya). Les Chabab ont, en réaction, régionalisé leur action en menant des attentats au Kenya.

C’est en Libye que les mouvements salafistes-djihadistes connaissent une spectaculaire expansion, sur les décombres laissés par la chute du régime de Kadhafi : Ansar Al-Charia, dirigé par Mohammed Al-Zahawi, apparu en juin 2012 sur la place Tahrir de Benghazi, regroupe des brigades de militants basés à Benghazi, Derna et Misrata, avec le même objectif d’imposer la charia. Daech s’est implanté à Derna. Sanctuaire de la branche tunisienne du groupe Ansar Al-Charia, la Libye est dévastée par la lutte entre révolutionnaires de tous bords et partisans de l’ancien régime, sans lesquels le pays ne peut pas être remis en route. L’État n’existe plus. Il a été détruit par le régime de l’ancien Guide dans toutes ses composantes (institutions, police, armée, arrière-pays, mentalités), ce qui explique l’incapacité à se prendre en charge. L’État islamique irako-syrien a installé des bases d’entraînement à Derna. L’envoyé spécial de l’ONU tente de conduire des pourparlers entre les factions régionales.

En Égypte, depuis la chute de Moubarak en 2011, on compte une demi-douzaine de groupes salafistes actifs dans le Sinaï. Ils sont liés à Al-Qaïda (dont le dirigeant, Ayman Al-Zawahiri est d’origine égyptienne) et à AQPA qui s’attaque à la fois aux intérêts israéliens et égyptiens. En revanche, les autres crises graves observées en Afrique (Soudan du Sud, République Centrafricaine) ne relèvent pas d’offensives djihadistes.

Foyers connectés ou cas isolés ?

Il est établi que l’ambassadeur des États-Unis, Christopher Stevens, a été tué en 2012 à Benghazi par des membres du réseau égyptien Mohamed Jamal, du nom de son dirigeant, un frère d’Al-Zawahiri. Des livres de comptes trouvés par l’armée française à l’intérieur du sanctuaire d’AQMI (dans l’Adrar des Ifoghas) attestent de versements d’argent au profit du groupe Harakat al-Chabab de Somalie. Celui-ci ne cache pas qu’il cible les intérêts français et britanniques en Afrique de l’Est (et le gouvernement éthiopien est inquiet des risques de sécurité à Djibouti). Les trafics d’armes depuis la Libye impliquent souvent plusieurs groupes.

De son côté, le fondateur du groupe Al-Mourabitoune (et ancien d’AQMI), Mokhtar Belmokhtar, a établi sa présence dans cinq pays. Il nourrit le projet d’un front djihadiste unifié en Afrique du Nord. Désormais en rivalité avec AQMI, il a rompu avec Al-Qaïda en 2012 pour donner la priorité à des attaques contre les intérêts occidentaux (comme à In Amenas en janvier 2013). Plusieurs formations ont fait allégeance à Al-Qaïda Centrale (AQMI et Al-Chabab, qui reçoit un soutien d’AQPA, Al-Qaïda dans la péninsule Arabique et au Yémen), d’autres à Daech qui a pu ouvrir des camps d’entraînement en Cyrénaïque, à Derna. Boko Haram, mouvement nigérian, apparaît lui comme un cas spécifique à tel point qu’il a été critiqué par Al-Qaïda pour ses attaques indiscriminées contre les civils.

La France face aux menaces 

La France est classée dans les ennemis lointains par Al-Qaïda, mais elle reste une cible proche pour AQMI. Droukdel, chef d’AQMI, a encouragé des attaques directes contre la France du fait de son intervention au Mali, de son soutien aux régimes du Maghreb et de son régime de laïcité (interdiction du port du voile). Dans la longue série des attentats ayant touché la France, les premiers furent le fait d’États (Iran, Syrie, Libye), puis d’organisations structurées (GIA algérien). Les assassinats ciblés de janvier 2015 en France ont été perpétrés par des ressortissants français liés à la mouvance Al-Qaïda. Plusieurs tentatives d’attentats ont été déjouées.

La carte montre que les deux tiers des zones du monde où sévissent des crises graves en 2015, se situent entre 3 et 6 heures de Paris. La sécurité réside dans le traitement des crises sur lesquelles la France peut avoir prise, soit par la voie militaire en raison des accords de défense, en Afrique saharo-sahélienne où l’on peut encourager les États africains à s’impliquer davantage, soit par la voie diplomatique, en Libye par exemple. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !