Pour quelles raisons un pays s’endette-t-il ?

Il faut distinguer la dette publique et la dette extérieure, même si les deux se recoupent lorsque par exemple l’État finance tout ou partie de son déficit par l’endettement extérieur. Un pays s’endette vis-à-vis du reste du monde pour des raisons variées : financer un déficit public ou un déficit extérieur structurel ; financer l’investissement et le développement domestiques lorsque l’épargne intérieure est insuffisante ou mal orientée ; faire face à des attaques spéculatives à court terme… L’important, c’est que la dette extérieure soit bien utilisée, c’est-à-dire qu’elle serve vraiment à accélérer l’investissement, la croissance, l’emploi, le développement... et qu’elle engendre ainsi de quoi faire face aux échéances (le paiement des intérêts et le remboursement du capital aux échéances contractuelles).

Qui sont les organismes prêteurs ?

Ils sont variés : les banques, les marchés financiers, les États, les organismes internationaux (FMI, Banque mondiale…). Les conditions – taux d’intérêt, échéance… – sont très variables selon les prêteurs et les emprunteurs. L’État grec doit payer en ce moment sur les marchés à 10 ans plus de 10 % d’intérêts alors que pour la même échéance, l’Allemagne emprunte avec un taux autour de 0,35 % ! Sans oublier qu’au pic de la crise, l’État grec empruntait à 10 ans à 30 %, d’où la mise en place d’un fonds de soutien européen (Fonds européen de stabilité financière, transformé par la suite en Mécanisme européen de stabilité) qui a prêté à la Grèce et à quelques autres pays attaqués à des taux heureusement beaucoup plus bas. Pour la dette grecque qui s’élève à plus de 300 milliards d’euros, les États européens en portent directement ou indirectement les deux tiers, le FMI 32 milliards, la BCE 27 milliards et les « marchés » (dont les banques) un peu plus de 50 milliards.

Quel est le niveau maximal supportable par un pays ?

Il n’existe pas un niveau précis et invariant, calculé en pourcentage du PIB qui fixerait la frontière entre le soutenable et l’insoutenable. Lorsque le seuil, variable dans le temps et dans l’espace, est atteint, l’emprunteur, public ou privé, entre dans un cercle vicieux dans lequel la dette engendre un montant de charges d’intérêts qui ne fait que gonfler un peu plus la dette, etc. La Grèce est clairement dans ce cercle vicieux, et il faut l’aider à s’en sortir. Entrer dans ce cercle vicieux, l’éviter ou en sortir dépend en particulier de l’écart entre le taux d’intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance de l’activité. Les choses se gâtent lorsque le premier dépasse nettement le second…

Quelles sont les principales voies de sortie des crises d’endettement dans l’histoire ?

Dans le passé, les crises de surendettement ont souvent été « gérées » par l’inflation, qui allège le poids réel de la dette au détriment des créanciers. Ces épisodes d’inflation sont intervenus aussi bien en temps de paix qu’en période de guerre, et les liaisons entre inflation, guerres et dettes sont multiples.

La voie de l’inflation est aujourd’hui coupée : nous sommes au bord de la déflation ; dans la zone euro, la BCE lâche tout pour faire remonter l’inflation vers un taux de 2 % par an. Cette inflation va demeurer basse dans nos pays européens pour au moins deux ou trois ans.

Une sortie radicale consiste dans le défaut partiel ou total du débiteur. Certains pays ont répudié leurs dettes, avant d’essayer beaucoup plus tard de recoller les morceaux. (Je pense aux fameux emprunts russes au début du xxe siècle, mais l’Amérique latine a fourni d’autres exemples de défaut).

Des voies de compromis ont aussi été empruntées, par renégociation contractuelle des termes de la dette (échéance, renouvellement, taux d’intérêt, transformation éventuelle des dettes en actions…) entre créanciers et débiteurs. Comme illustration, je pense à la gestion de la crise de la dette des pays en développement à partir de 1982, avec des négociations entre banques et pays débiteurs.

Quelles conséquences pour la Grèce et pour la zone euro si Athènes décidait de ne pas rembourser sa dette ?

Si la Grèce répudiait sa dette, la secousse financière et géopolitique serait forte pour tout le monde. En premier lieu pour les créanciers, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les autres États de la zone euro et derrière eux leurs contribuables. Dans la mesure où les banques ont déjà provisionné une grande part du risque grec et ont revendu l’essentiel de leurs obligations grecques, la secousse pour elles serait amortie. La Grèce, dans une telle hypothèse, ne pourrait plus, pendant quelque temps, se financer sur les marchés, n’aurait plus accès aux fonds de soutien européens. Ses banques seraient très fragilisées dans le cadre de l’union bancaire.

La politique d’austérité menée ces dernières années en Grèce était-elle nécessaire ? Si oui, pour quelles raisons n’a-t-elle pas donné les effets espérés ?

Il était nécessaire d’amorcer en Grèce un certain nombre de réformes. D’abord, y voir clair sur les chiffres concernant la fiscalité, le déficit public, la dette publique… Il fallait vraiment réduire la part de l’économie parallèle et l’évasion fiscale. Le programme mis en œuvre a été extrêmement sévère avec une baisse des salaires de 30 %. La troïka (Commission européenne, BCE, FMI) a fixé à mon avis des conditions trop strictes. Elle a imposé à la Grèce des délais trop courts et peu réalistes pour atteindre les objectifs assignés. Étaler dans le temps, certains ajustements et certaines réformes structurelles auraient réduit le coût social (en particulier l’augmentation du chômage) de l’ensemble.

Le vote grec devrait pousser la troïka et l’Europe à plus de pragmatisme. Symétriquement, le nouveau gouvernement grec devra accepter des compromis. Je crois au maintien de la Grèce dans la zone euro – ni la Grèce ni les autres pays n’auraient intérêt à une telle sortie – et le scénario de compromis semble le plus probable : pas de répudiation unilatérale de la part de la Grèce, mais renégociation de certains termes renégociables (ils ne le sont pas tous !) de la dette grecque.

Que feriez-vous à la place du gouvernement grec ?

Les premières mesures annoncées – arrêt des privatisations, augmentation du SMIC, réembauche de certains fonctionnaires licenciés… – donnent un signal fort aux Grecs, mais aussi à l’Europe. Après cette phase de signaux postélectoraux, il faudra vite passer au pragmatisme et poursuivre les réformes structurelles sur des thèmes plutôt consensuels : la réforme fiscale, la réforme de l’administration, la lutte contre la corruption et contre l’évasion fiscale. La nouvelle équipe doit rassurer l’Europe sur son maintien dans l’euro, son désir de ne pas faire fi des règles européennes arrêtées en commun, sa volonté de trouver ensemble les moyens politiques et techniques pour étaler dans le temps les ajustements requis de la Grèce et les échéances de la dette.

L’adhésion de la Grèce à l’Europe et à la zone euro est-elle pour quelque chose dans ces évènements ?

La Grèce est entrée dans l’Union européenne et dans la zone euro parce que tout le monde était d’accord : elle le souhaitait, et elle est venue rejoindre des pays qui, globalement parlant, étaient satisfaits de l’accueillir y compris pour des raisons stratégiques ou géopolitiques. Certes la Grèce a, à l’époque, menti sur certains de ses chiffres (en particulier en matière de finances publiques), mais à l’époque cela n’avait pas mobilisé grand monde à l’extérieur de la Grèce. Il ne faut pas sous-estimer la dimension politique et géopolitique de toutes ces décisions majeures. À partir de là, les écarts de compétitivité entre la Grèce et les meilleurs élèves de la classe européenne se sont creusés au lieu de se réduire. La dette grecque s’est emballée. Les responsabilités sont à mon sens partagées. La zone euro a révélé des défauts de surveillance et de gouvernance, qu’il sera essentiel de corriger dans l’avenir pour éviter des crises à répétition qui, si elles intervenaient, menaceraient la crédibilité de l’euro et de la zone euro. 

 

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