On savait que l’année 2015 serait celle de tous les dangers (guerre avec l’État islamique, conflit larvé en Ukraine, désordres monétaires potentiels). On savait qu’elle serait aussi celle de toutes les incertitudes (monnaies, marchés, pays émergents...). On savait encore que la croissance mondiale serait un peu plus faible et, hélas ! celle de notre continent nettement amoindrie. 

L’Europe, précisément, est à l’heure
des choix.

L’écart se creuse dangereusement entre États du Nord et États du Sud avec la France au milieu. Les fourmis vertueuses, qui ont consenti de grands sacrifices il y a longtemps et les réformes qui les accompagnaient, l’Allemagne en tête, sont prêtes aujourd’hui à lâcher du lest (augmentation des salaires en Allemagne) mais ne sont guère enclines à alimenter les cigales dispendieuses. Beaucoup de ces dernières subissent l’incompréhension de la mondialisation en cours, qui n’est pas un choix, mais une réalité incontournable à laquelle elles n’ont pas été préparées.

Alors, pour nous Européens, le grand débat est lancé. 

Ne sommes-nous pas allés trop loin dans l’austérité ? La potion n’est-elle pas en train de tuer le malade ? Ne convient-il pas de faire une pause ? Faut-il poursuivre les efforts ? Et à quel rythme ? Ce débat concerne la France au premier chef.

Répétons-le sans cesse, l’austérité en France a été plus ressentie que réelle. En dépit d’un chômage très élevé, supérieur à 10 %, mais en raison d’une protection sociale forte, le niveau de vie ne s’est guère contracté. Les classes moyennes ont vu fondre une partie de leurs projets et des chances de leurs descendants. Comme partout dans le monde, les inégalités se sont renforcées au profit des plus riches qui sont les seuls à profiter d’une croissance molle. Et le plus dramatique, c’est qu’en France les plus démunis sont de plus en plus nombreux à subir des fins de mois difficiles. Ce ressenti d’austérité, qui n’est réel que pour les plus pauvres, alimenté par nos démagogues de droite et de gauche, s’appuie sur un déni de réalité.

Comme si nos difficultés réelles n’étaient pas le fruit de nos erreurs, de notre laxisme, d’une absence de cap et de vision, de notre incapacité à comprendre l’évolution du monde qu’accélère le fantastique progrès des technologies, des moyens de communication et d’échange. 

On pourrait comparer notre cécité politique des trente dernières années à cette caste militaire française embourbée dans ses conservatismes, abritée derrière la ligne Maginot qui nous a conduits au désastre de Juin 40. Alors, pour nos conservateurs comme pour nos démagogues, la faute est ailleurs. C’est la faute à l’Europe, la faute à l’euro, la faute à la finance, bref c’est la faute à Voltaire. Message d’autant plus facile à faire passer en France que nous sommes un pays où la réussite a toujours été suspecte, où l’on regarde d’abord dans l’assiette de son voisin : la jalousie est une maladie bien française. Le formidable élan de solidarité du 11 janvier a montré avec éclat l’attachement aux valeurs de la République. Il serait sans doute infiniment plus difficile de mobiliser les foules pour exiger les mesures de bons sens préalables à tout redressement, que l’opinion est par ailleurs disposée à accepter comme le montrent les sondages à propos de la loi Macron. Nous avons dit ici même : halte à la désespérance, à la condition bien sûr d’opérer les bons choix et de les exécuter vite.

Pour ce faire, pour comprendre ce qu’il est urgent de décider, regardons ce qui s’est fait ailleurs notamment chez ceux qui se portent plutôt mieux, dans un environnement comparable. Démarche qui n’est en rien condamnable, qui n’est pas un abandon de souveraineté, c’est au contraire ce qui se fait tous les jours dans les secteurs de la production ou dans le numérique qui avance à pas de géant. 

Trois critères sont principalement à retenir : le coût du travail, le déficit public et la fiscalité.

Le coût horaire de la main d’œuvre pour l’ensemble de la zone euro est estimé à 30 euros en moyenne. Il revient en France à 35,6 euros contre 32,9 euros en Allemagne. Mais le plus lourd handicap n’est pas là. Il est d’abord dans la rigidité de notre législation (les 35 heures, les seuils sociaux, une paperasserie insupportable pour les PME). Les pays qui ont développé le plus de flexibilité sont ceux qui ont les meilleurs taux de croissance, ce n’est pas un hasard. 

Les déficits publics – plus de 53 % du budget à la charge de l’État et des collectivités territoriales – battent des records en Europe, pèsent lourdement sur notre compétitivité et sur la croissance. Nous avons beaucoup plus de fonctionnaires que nos voisins allemands ou anglais. Dire que l’on devrait remplacer un fonctionnaire sur deux ou sur trois partant à la retraite n’est pas la solution. La vérité est qu’il faut couper là où il y a pléthore sans productivité accrue et renforcer encore les secteurs essentiels à notre devenir. 

La fiscalité enfin. Depuis quatre ans, de nombreux pays en Europe ont préféré réduire les pressions fiscales, en particulier la fiscalité des entreprises. La concurrence internationale et la mondialisation obligent les États à s’adapter en supprimant les réglementations paralysantes, en donnant plus d’air aux entreprises. En Angleterre, l’impôt sur les sociétés a baissé de 28 à 24 %, et le Premier ministre David Cameron veut aller encore plus loin en 2015 (22 %). L’Allemagne (32 à 26 %), la Finlande, le Danemark ont suivi le même chemin.

Tous ces pays ont compris qu’il faut soulager les entreprises, pas la France. Dans le classement des taux d’imposition sur les sociétés, la France est championne européenne avec un taux à plus de 36 %. Comment dans ces conditions, avec une croissance très faible, imaginer que les entreprises puissent embaucher largement quand les carnets de commandes sont minces et les marges insuffisantes.

Là est la cause majeure d’un chômage de masse dont on ne voit pas la fin. Là est la raison pour laquelle les nouvelles embauches se font à 85 % en CDD pour échapper aux réglementations de licenciement. De ces constats peu réjouissants découlent nos obligations. 

Et d’abord tourner le dos à la démagogie. Halte à l’austérité, halte à une rigueur trop contraignante, clament en chœur ceux qui sont opposés aux réformes accélérées de notre pays, qui mettent en doute une loi Macron qui va pourtant dans le bon sens du dépoussiérage de nos institutions et de la modernité, premier pas souhaité en plus par Bruxelles. 

Le Pen, Mélenchon, Piketty, même combat de circonstance. Ces deux derniers, chantres d’un communisme renaissant, n’oublient qu’une chose : l’Europe dans son ensemble vire plutôt à droite, quand ce n’est pas à l’extrême droite, en agitant le spectre de l’immigration et le rejet d’une Europe qui rappelle que la solidarité a des règles, qu’il y a des droits, mais aussi des devoirs.

Alors la solution pour la France n’est pas de jeter un pont entre les deux Europe, mais de poursuivre les réformes de structure dont la loi Macron n’est que le premier pas. Réforme d’autant plus urgente que le chômage qui alimente la défiance va se poursuivre inéluctablement. 

Nous sommes en guerre avec l’État islamique et la sécurité s’impose en priorité. Mais il ne faudrait pas oublier que nous sommes au bord de la faillite et qu’il faudra bien que des hommes courageux, de droite et de gauche, se mettent d’accord pour prendre les mesures phares qui s’imposent – hélas ! ce n’est pas dans notre culture qui est plutôt celle de l’affrontement. En Allemagne, les mesures radicales des sociaux-démocrates Hartz et Schröder ont permis à Angela Merkel, fidèle démocrate-chrétienne, d’engranger en dix ans les résultats que l’on sait et de devenir en Europe la première puissance, tant jalousée.

Freiner les réformes, sous le faux prétexte qu’elles renforcent une austérité qui n’existe pas chez nous, serait la pire des solutions. Les syndicats qui manifestent contre l’ouverture du dimanche offrent le triste spectacle de leur irresponsabilité. Pour retrouver un peu de croissance, il n’y a d’autre chemin que les réformes structurelles trop longtemps différées. Alors, un seul message, après la loi Macron, proposer vite un nouveau train de mesures : il en va de la crédi–bilité de l’exécutif et de notre position
en Europe. 

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