Notre problème est que l’école française est figée sur ses certitudes de posséder une culture unique, immuable et universelle. Or il faut entendre toutes les voix. Il est nécessaire d’apprécier ce qui est différent chez l’autre. Je crois à l’interculturel. Les enseignants ont ce dur travail à accomplir. Lorsque j’ai reçu le Nobel, j’ai visité une école remarquable à Rinkeby, en périphérie de Stockholm. On y favorise la mixité avec des enfants venus du monde entier. Chacun est invité à apprendre une langue différente de la sienne. Si tu es d’origine turque, tu apprends le grec ou le portugais. Une scène m’a ému aux larmes : des enfants éthiopiens ont chanté le Santa Lucia en italien. Quand on sait les conflits qui ont opposé l’Éthiopie et l’Italie…

Je suis partisan d’enseigner le fait religieux à l’école. Il devrait même exister dans certains lycées un lieu pour la religion. Le lycée d’État où j’étais élève abritait une chapelle avec un aumônier. J’ai suivi ses cours et j’ai souvent porté la contradiction. On ne peut faire abstraction de cette dimension religieuse. On étudie Pascal, c’est un philosophe chrétien. Pourquoi ne pas étudier les grands philosophes du monde arabe, du monde juif ? Il faut casser l’idée d’une littérature-nation. On pourrait lire Cervantès en classe en même temps qu’on lit Racine. Ce qu’on peut recevoir de cette lecture de Cervantès est magique. Il en va de même avec les auteurs des grandes sagas du monde, je pense aux Upanishad en Inde. Pour accéder à la littérature universelle, il faudra revoir beaucoup de programmes. Mais je ne suis pas ministre… En revanche, je peux me rendre dans des écoles. Je l’ai fait dans la banlieue parisienne avec une poétesse indigène du Canada, Rita Mestokosho. Avant de commencer l’entretien, elle a invoqué les esprits. Toute la classe a ri. Rita a dit : « Je ris avec vous car je comprends votre surprise. » Peu à peu elle les a captivés. Les jeunes ont voulu savoir ce que signifiait de vivre comme une indienne au Canada. L’ouverture qu’avait permis cet échange était un moyen de prendre en compte les autres cultures. Pas seulement de les tolérer, mais de les aimer, de trouver ce qu’il y a de bon en elles. À l’île Maurice, mon cousin prêtre, le père Souchon, célèbre des mariages entre musulmans et chrétiennes. Il porte une chasuble moitié blanche avec un morceau de croix, et moitié verte avec un croissant. Il dit : « Vous élèverez les enfants comme vous voudrez ! »  

Propos recueillis par Éric Fottorino

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