Pourquoi un même mot pour dire deux réalités différentes, voire contradictoires ? Quelqu’un, en haut lieu, voudrait-il embrumer les humains ? Les mots ont le double pouvoir d’enflammer et d’endormir. Tantôt ils sonnent la révolte, tantôt ils nous tiennent lieu d’opium.

Il paraît que le mot travail a pour origine un charmant instrument, le tripalium : trois pieux en croix où le supplicié se retrouvait ligoté. Il finissait par y mourir, étouffé. Mais le travail est aussi privilège. Bonne nouvelle, dit-on, cet homme, cette femme vient de trouver un travail. Rareté appréciable en ces temps de chômage, cette malédiction personnelle et sociale.

Privilège, surtout, quand le travail n’est pas répétition sans fin du même geste, mais création. Création de biens ou de liens, de choses ou de services… Création, ce faisant, de soi-même. Il ou elle s’épanouit dans son travail.

Mon travail à moi, romancier, c’est d’explorer le métier de vivre. En racontant des histoires. Il y a plus pénible que se battre avec des phrases, des chapitres, des personnages… Alors je pense à tous ceux qui n’ont à la bouche que la valeur travail. De quel travail parlent-ils ? La vie moderne a inventé bien plus sournois que les pieux pour torturer. Depuis la nuit des temps, d’Athènes (ve siècle av. J.-C.) à aujourd’hui (par exemple au Quatar), la qualité de vie de quelques-uns a reposé sur l’épuisement de beaucoup. Plutôt que travailleurs, appelons-les esclaves.

Et dans le même temps… Comment ne pas s’inquiéter de notre passion nationale pour les loisirs ? Un pays s’effondre, qui ne croit plus au progrès. Et comment relancer le moteur du progrès sans redonner de la valeur au travail ? Oui, vive le travail vivant ! Vive la juste répartition des profits ! Vive l’avancement ! À bas les plafonds de verre ! Vive les passerelles et les deuxièmes et troisièmes chances ! Au revoir les rentes ! Retrouvons l’ambition commune ! Vers le milieu du xviiie siècle, Venise a commencé de sombrer quand elle ne s’est plus intéressée à ses entreprises lointaines, leur préférant la douceur et la proximité de ses villégiatures. 

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