Quel est le poids de la flotte des drones militaires aux États-Unis ?

En 2012, l’armée américaine a formé davantage de pilotes de drone que de pilotes d’avion. C’est un tournant qui esquisse bien l’aviation, sinon de ­demain, en tout cas d’après-demain. ­L’année 2012 a été une année pivot à double titre puisque c’est aussi l’année du plus grand nombre d’attaques par drones au Pakistan. La politique du président Barack Obama a été du reste contestée. Des membres du Congrès, certes très minoritaires, ont critiqué son action. Obama en était arrivé à la conclusion après les guerres d’Afghanistan et d’Irak que son pays ne pouvait plus prendre le risque d’une guerre classique, mais qu’il pouvait gérer les problèmes du monde avec des drones. Il a pratiqué une forme de vraie guerre avec des drones, des forces spéciales et du renseignement. C’est un paradoxe : ce Prix Nobel de la paix a signé ou validé l’équivalent d’une autorisation de frappe par jour en 2012, c’est-à-dire des assassinats ciblés en nombre situés hors zone de guerre. 

Finalement, il a dû limiter le nombre des frappes. Mais si demain Pékin va tuer avec un drone un chef tibétain au Népal ? Ou si Moscou frappe un leader ukrainien ? Contre toutes les critiques, ces pays pourront exciper de précédents, même si à bon droit Washington pourra répondre que son action a cours avec l’accord des pays concernés.

Cette nouvelle arme marque-t-elle un bouleversement des règles militaires et morales ?

Les drones sont pilotés à distance. Tous les termes ont leur importance. C’est mon débat avec les ONG qui contestent leur utilisation ou encore avec Grégoire Chamayou [lire p. 5-6]. Ce n’est pas un robot qui prend la décision de tirer ou de ne pas tirer. L’opérateur qui pilote le drone est certes installé dans une base au Nevada, aux États-Unis, mais il agit en temps réel. Il filtre les informations tout comme un pilote de bombardier, et même plus précisément. Dans les situations de combat, les drones sont toujours guidés par un pilote qui voit plus nettement la scène de tir que quiconque. Et les pilotes de drone sont les seuls qui ont la possibilité, après le tir, de revenir sur cette scène pour l’observer. Le pilote à distance a un regard beaucoup plus cru sur ce qui s’est passé sur le terrain que le pilote d’un bombardier qui a largué ses bombes à très haute altitude. Il est véritablement confronté à ce qu’il fait, d’où l’apparition chez certains de symptômes somatiques.

En outre, le pilote de drone subit plus de contrôles qu’un pilote de chasse. Si l’opération est sensible, il a derrière lui deux ou trois personnes, dont un conseiller juridique, qui interviennent. La chaîne de commandement peut remonter à l’échelon politique pour obtenir l’autorisation de tir. Le côté non-éthique du drone ne me convainc pas. Ce ne sont pas des robots qui prennent la décision. Ce qui en revanche est exact, c’est que le pilote de drone ne s’expose pas. Là, il y a une césure, mais je ne condamne pas a priori cette technologie. Cela fait bien longtemps qu’on tire des missiles à distance sans se mettre en danger. Missiles balistiques, missiles de croisière : le risque est zéro. Il n’y a pas de rupture conceptuelle radicale. Une différence de degrés, oui.

Quels sont les principaux pays qui fabriquent les drones militaires ?

Les États-Unis et Israël se sont lancés dans ce secteur avec une petite décennie d’avance sur tous les autres, dans les années 1990. Les drones actuels sont le fruit de la rencontre de l’industrie aéronautique et des nouvelles technologies. À l’heure actuelle, les États-Unis et ­Israël sont toujours leaders dans la mesure où les principaux pays européens et les industriels rencontrent des difficultés à se mettre d’accord sur une offre concurrente. D’autre part, l’avance technologique accumulée par les Américains et les Israéliens leur permet de rester très en pointe. Ces deux pays dominent complètement le marché et produisent la quasi-totalité des drones, soit plusieurs centaines par an. Les Israéliens sont plus agressifs à l’export – vers la Russie, la Géorgie, l’Inde, l’Afrique du Sud – ­tandis que les États-Unis fournissent leur ­marché national et leurs alliés. 

Que font l’Europe et les pays émergents ?

L’Europe a perdu dix ans et compense en achetant de la technologie israélienne. Les puissances émergentes sont en train d’étudier comment elles pourraient mettre un pied dans ce secteur. La Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie sont tentés. Pourront-ils combler leur retard ? Ce qui est sûr, c’est que les États-Unis travaillent maintenant sur les drones furtifs. C’est encore un saut technologique. 

Est-ce tout de même une arme à la portée des groupes terroristes ?

Des groupes peuvent très bien utiliser des drones rustiques. C’est un risque. À un bout du spectre, on peut survoler comme on le voit des centrales ­nucléaires, les observer, procéder à des relevés, avec des drones qui ont quasiment la taille de jouets ; à l’autre extrémité, le Hezbollah, qui a déjà ­exhibé un drone, peut être tenté de survoler le territoire israélien. C’est un sujet important, d’autant qu’il existe toute une littérature sur l’utilisation de l’arme chimique ou biologique via les drones.  

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER

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