Il n’avait encore rien accompli qu’il était déjà Prix Nobel de la paix. Rarement président élu aura été investi par son opinion publique et plus encore par l’opinion internationale d’une telle attente. Pour avoir occupé un poste de correspondant aux États-Unis, je peux confirmer qu’avant même son élection il était déjà quasi impossible de convaincre nos interlocuteurs en France que Barack Obama était un politicien plus madré, centriste et modéré qu’ils voulaient l’imaginer. Rien n’y faisait, le « premier président noir » des États-Unis allait tout bouleverser, tout résoudre. 

Six ans plus tard, après avoir été facilement réélu, le bilan est sans appel : ses grands projets politiques ont été soit enrayés, soit fortement altérés. La mise en place d’une assurance maladie universelle, réforme phare de son premier mandat ? La création d’une assurance publique concurrente des assurances privées, qui devait en constituer le pilier, n’a jamais vu le jour. La réforme de l’immigration, destinée à légaliser la présence de 11 millions d’immigrés sans papiers aux États-Unis ? Incapable de convaincre le Congrès de légiférer, Obama en est récemment venu à annoncer une réforme par décret, là encore moins ambitieuse. La restriction des ventes d’armes à feu ? Malgré les « massacres d’innocents » récurrents aux États-Unis, rien n’a avancé. 

On dira qu’Obama n’avait rien d’un révolutionnaire. Sa réforme financière a peu rogné les marges de manœuvre des grands acteurs de Wall Street. Reste que sa volonté réformatrice s’est constamment heurtée à un système politique qui l’a contraint à reculer, alors qu’il semblait avoir de son côté, chaque fois, une majorité claire de l’opinion. Pourquoi ? Dans un article intitulé « America in Decay » (« L’Amérique en décadence ») dans la revue Foreign Affairs (août 2014), le politologue conservateur Francis Fukuyama (célèbre concepteur de « la fin de l’histoire » après la chute du mur de Berlin) estime que désormais « les vainqueurs économiques cherchent à convertir leur richesse en source d’influence politique indue ». Et d’engager le procès des lobbies, qui financent des élus en perpétuelle quête d’argent pour mener leurs campagnes (les élections à la Chambre ont lieu tous les deux ans). « Ces groupes d’intérêt exercent une influence très au-delà de leur place dans la société, ils faussent l’imposition fiscale et la dépense publique et […] manipulent les budgets en leur faveur », écrit-il. « Le citoyen ordinaire ressent que son gouvernement, supposément démocratique, ne reflète plus son intérêt et se trouve sous la coupe de diverses élites agissant dans l’ombre. » 

C’est ce pouvoir de l’ombre et les dysfonctionnements des institutions qui se sont, si souvent, imposés à Barack Obama. Son charisme, sa force de conviction et, indubitablement, sa crédibilité plus grande que celle de son adversaire aux yeux de l’opinion, lui ont permis par deux fois de se faire élire président. Mais ces atouts ont été de peu de poids face à l’extraordinaire obstacle que représente désormais aux États-Unis la convergence de la toute-puissance de l’argent et d’un système institutionnel qui, coalisés, permettent à des lobbies représentant des intérêts privés particularistes de profondément dénaturer la démocratie. 

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