Jamais la France n’aura autant voté. À chaque instant, à tout propos, je suis invité à donner mon avis, sur tout et sur rien, d’un simple clic. « Pensez-vous que le ­secrétaire général de ­l’Élysée sera contraint de démissionner ? » J’ai répondu oui. « Croyez-vous que ­Nabilla a voulu poignarder son compagnon ? » J’hésite. Je crois que je vais voter non.

Des classements, publiés régulièrement, m’indiquent qui sont les personnalités les plus populaires, les dirigeants les moins aimés, les pires audimats de la ­semaine, les meilleurs films de l’année… Je sais exactement à quoi m’en tenir : tout est évalué, chiffré et hiérar­chisé par de puissantes machines. De leur côté, les sites d’information me signalent chaque jour leurs articles les plus lus, les plus commentés, les plus appréciés, les plus partagés. Ces précieux palmarès déterminent mes goûts, orientent mes opinions et, surtout, me dispensent de réfléchir. 

Je n’ai pas encore eu l’honneur d’appartenir au mystérieux échantillon représentatif de la ­population française, âgée de 18 ans et plus, que l’on interroge du matin au soir selon la méthode des quotas. Cela viendra peut-être. En attendant, je profite des résultats de ces sondages si ­instructifs : ils ­m’apprennent pour qui je vais voter, et pourquoi. 

Mais, dites-moi, jusqu’à quand notre démocratie s’encombrera-t-elle d’urnes et d’isoloirs ? Je pourrais très bien me prononcer à domicile, de mon écran, au moyen d’un mot de passe. Cela m’éviterait tout contact avec d’autres citoyens. Chacun chez soi, et les moutons de Panurge seront bien gardés. 

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