– Mes chères consœurs, nous sommes réunies aujourd’hui pour réfléchir au sens de notre action. Nos confrères ne le font pas, parce qu’ils pensent ne pas en avoir besoin. Vous m’avez fait l’honneur de me confier ce discours inaugural, car je suis la doyenne. Certaines d’entre vous, les plus jeunes, ignorent peut-être qui je suis. Je m’appelle Wonder Woman. Je suis apparue en 1941. Vous n’étiez pas nées. Il n’est jamais facile d’être la première. On craint d’abord de rester toujours la seule, puis on craint de ne plus jamais l’être. On dit que je suis féministe. C’est vrai. Mais qu’est-ce qu’être féministe au juste, quand, à l’image d’Ève qui fut tirée du côté d’Adam, je dois la vie à un homme ? On dit aussi que les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars, moi je suis née en décembre, et je viens de Marston. Tel est le nom de mon créateur : William Marston, un homme et un féministe. Chère Catwoman, je vois qu’en disant cela je vous hérisse, mais c’est la vérité. Vous connaissez cette histoire, ou plutôt cette devinette ? Un père et son fils ont un accident de voiture. Le père meurt. Quand l’enfant arrive à l’hôpital, le chirurgien, bouleversé, s’exclame : « C’est mon fils ! » Comment est-ce possible ?

– Aucune idée !

– Je vous pose la question, à vous -Catwoman, et à vous toutes, consœurs super-héroïnes. Tandis que vous réfléchissez, laissez-moi vous parler de Marston. Conseiller pour DC Comics, il remarqua avec regret que les super-héros étaient tous masculins. Il proposa de créer la première super-héroïne. Attention, pas une femme singeant l’homme, pas une femme super-garçon manqué, mais une super-femme alliant la force aux qualités habituellement associées à son sexe : bonté, douceur, pacifisme… 

– Ce sont des stéréotypes éculés !

– Peut-être, chère Mystique. Mais son idée était que si les filles ne voulaient plus devenir des femmes, c’était parce que dans un monde voué à la force, les qualités féminines étaient toutes synonymes de faiblesse. La faiblesse était le revers de la bonté et de la douceur. Il a voulu changer le revers de cette médaille, la refondre pour associer la bonté à la force : Wonder Woman vous veut du bien, elle est douce, soumise…

– Soumise ?!

– Oui soumise, pas à l’homme mais à -l’humanité. Et pacifique, mais capable de vous tuer. Elle pourrait le faire, mais elle ne le fait pas. Pourquoi ? Parce que c’est une femme digne de ce nom. Elle a la force, mais aussi la douceur. Sa devise pourrait être : si tu ne veux pas la guerre, prépare la paix. Amazone de la non--violence, guerrière de la douceur…

– Que vaut une guerrière sans armes ?

– J’ai une arme : mon lasso magique ou Lasso de vérité. Si je vous serre, je vous amène à la vérité. Marston était aussi l’inventeur d’un test qui a donné naissance au détecteur de mensonges. Ses résultats expérimentaux l’ont convaincu que les femmes étaient plus fiables que les hommes. Ça ne fait pas de Superman ou Batman des menteurs, mais ce sont d’abord des hommes d’action, et moi une femme de vérité. Je crois voir quelqu’un lever le doigt ? Ou plutôt quelqu’une ?

– Merci Wonder Woman. Je me présente aussi pour les plus jeunes : Super Jaimie, première femme bionique, née après Steve Austin, premier homme bionique, alias « l’Homme qui valait trois milliards ». Je me pose une question. Steve avait un œil bionique, moi c’était l’oreille. Faut-il y voir un symbole ? À l’homme la vision, à la femme l’écoute ?

– Je ne sais pas. Auguste Comte nous rappelle que le sexe masculin est le sexe actif, et que le sexe féminin est le sexe affectif. L’homme est naturellement tourné vers l’extérieur…

– Alors que la femme est naturellement vouée à l’intérieur ? Quelle vision -archaïque !

– Écoutez jusqu’au bout. Chasser, pêcher, défricher, transporter, construire, c’est travail d’homme. En quoi l’homme ne cesse jamais d’obéir. Une maison, par exemple, reçoit sa forme des éléments inhumains, elle obéit à la pesanteur, au climat. En ce sens extérieur, elle est masculine. À l’intérieur, au contraire, tout obéit à l’homme. Le lit, la table, le fauteuil sont faits pour l’homme. Comme dit le philosophe Alain : « la forme humaine s’y moule en creux; elle y règne autant que cela se peut ». La pensée masculine ne fait qu’obéir à la nécessité inhumaine. Le génie féminin défend la forme humaine. L’homme dit « Il faut », la femme dit « Il faudrait ». Ils font des choses, nous faisons des humains. Ils sont les gardiens de la galaxie, mais nous sommes celles de la forme humaine. 

– Depuis tout à l’heure, vous ne citez que des hommes ! Il faudrait…

– Vous avez raison, il faudrait. Mais je reviens à ma devinette. Vous avez eu le temps de réfléchir ? Superman me l’a apprise un jour où nous discutions des stéréotypes attachés à nos sexes respectifs. Non ? Vraiment, personne ne voit ? Eh bien mes chères amies, avant de déclarer ouvert ce premier congrès international des super-héroïnes, permettez-moi de vous dire que le chirurgien était une femme. 

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